En cette période de crise politique, économique et sociale, beaucoup de Tunisiens se posent des questions concernant l’avenir du pays et surtout concernant les prises de position des hommes politiques et leurs propositions. Ce sont, selon moi, des questions légitimes. Est-ce que le pouvoir corrompt les plus honnêtes hommes et femmes politiques ? Ou est-ce qu’il les oblige à parler peu, à se mettre en retrait, à ne pas prendre position, à fuir dès qu’une décision importante devra être prise ? Pourquoi avez-vous choisi de vous taire Madame Samia Abbou alors qu’avant vous interveniez à la plupart des réunions de l’assemblée nationale et chacun de vos discours faisait trembler le parlement ? Vos interventions sur les plateaux de télévision sont devenues très rares. Je sais que vous cherchez à ne pas gêner vos proches et vos alliés et que la virulence de votre critique pourrait servir vos adversaires, mais votre silence me choque, car comme l’affirme Jean-Paul Sartre « Se taire ce n’est pas être muet, c’est refuser de parler, donc parler encore. » (Jean-Paul Sartre, « Qu’est-ce que la littérature ? »). En vous taisant, Vous parlez, Madame, vous soutiendrez, malgré vous, des gens que vous avez combattus, vous vous trouvez au même camp que le bloc parlementaire de la Coalition Al Karama, par exemple, qui s’oppose à votre idéal politique. Bien plus, votre fuite du parlement au moment du vote d’une motion importante est suspecte. Vous avez tenté de justifier cette décision après coup (déclaration accordée à « Tunisie Numérique », le 5 juin 2020) mais vous n’avez pas pu nous convaincre. Si votre position cible uniquement Abir Moussi, pourquoi ne pas l’exprimer par le vote et pourquoi quitter le parlement d’une manière si spectaculaire ? Ce départ n’est-il pas un clin d’œil de soutien inconditionnel à tous les adversaires des forces modernistes et centristes ? Quelle est votre position réelle à l’égard de l’intervention des forces étrangères en Libye ? Que pensez-vous des contacts établis par le Président du Parlement tunisien avec l’un des partis engagés dans le conflit ? Que pensez-vous de la possibilité de la présence d’une base américaine au sud tunisien ? Quelle est votre position envers la politique du gouvernement actuel au niveau économique, social politique ? Comment faire face à la crise qui s’annonce dans les prochains mois ?
Votre neutralité passive avec vos amis me fait peur, Madame, car elle porte l’odeur d’un pragmatisme et d’un réalisme politique trop prosaïques et d’un probable abandon de certains principes politiques que vous avez élaborés et que vous avez défendus avec audace et acharnement. Quand Monsieur Mohamed Abbou a démissionné de son poste de « Ministre chargé de la Réforme administrative » du gouvernement de Mohamed Jabali le 30 juin 2012, il a justifié sa décision en indiquant qu’il ne disposait de moyens de lutte contre la corruption, mais sa démission était aussi liée à un contexte politique tendu, marqué par un conflit entre les conservateurs et les modernistes ainsi que par la guerre civile en Lybie et par l’extradition de son ex Premier ministre Al-Baghdadi Al-Mahmoudi. Aujourd’hui tout a changé bien sûr, mais le contexte politique est plus complexe, plus tendu, marqué par une polarisation excessive et par la crise libyenne devenue plus terrifiante, car totale et internationale. Quel camp allez-vous choisir Madame Samia Abbou ? Vous est-il possible de rompre avec le camp des Modernistes ? Pouvez-vous rester trop longtemps dans l’attentisme ? Jusqu’à quand conservez-vous cette posture ambiguë alors que le pays est en train de plonger ? Si vous choisissez, en politique, de jongler, sur plusieurs cordes, vous risquez d’avoir une chute fracassante et de tout perdre.
Non Madame, nous n’acceptons pas cette situation. Nous voulons retrouver notre Samia Abbou au grand cœur, audacieuse, toujours révoltée contre l’injustice, contre la corruption, contre le fanatisme. Restez, Madame, ce que vous étiez, ce que vous êtes, ce que vous serez, une femme émancipée, combattive, démocrate, une femme qui ne cède jamais et dont la voix au parlement est la voix des opprimés et des pauvres, une voix au service de la patrie et non d’un parti politique qui est obligé de faire des concessions et de sacrifier totalement ou partiellement son idéal politique pour rester au pouvoir.