Par Mansour M’henni
Tout semble se dérouler aujourd’hui sur un arrière-fond de bras de fer politique au sein de notre trinité présidentielle, apparemment allergique à toute idée d’unité, au moins depuis un remaniement ministériel bloqué au nom d’une fort discutable (anti-)constitutionalité. De fait, les Tunisiens ont finalement compris que la constitution est le dernier souci des gouvernants et qu’elle ne leur sert que d’instrument pour asseoir leur pouvoir, à la façon dont ils le voient et non à la façon dont ils devraient le concevoir en étroite relation aux intérêts de leur peuple et de ses aspirations.
Bref, on continuera de suivre ce feuilleton de notre gouvernement comme nous suivons celui de Harim Sultan (un modèle de la gouvernance meurtrière) et autres feuilletons qui, après une offre financièrement alléchante camouflant à peine d’autres rentes aux fournisseurs, risquent de donner à bail nos entreprises médiatiques et même nos établissements d’intérêt public. Nos politiciens attitrés ou faisant fonction y joueraient les héros et nous, notre éternel et immuable statut de comparses et de spectateurs, « insensibles à toute mélodie et à toute lamentation ».
Mais sur cet arrière-fond de « coquetage » et de caquetage pseudo-politiques, deux informations retiennent l’attention : l’une liée à l’intention de mise en application de la peine capitale sur un jeune citoyen tunisien au Qatar, l’autre ayant trait au généreux geste chinois consenti pour la Tunisie consistant en un don gratuit de cent mille vaccins contre la covid 19 et n’attendant que la disponibilité et l’exécution du fret pour nous parvenir.
Il est à préciser que le premier cas relève de la perception relative de la justice d’une société à l’autre, et particulièrement de l’idée, des convictions et des lois ayant trait à la notion de « peine capitale », entre la condamnation à mort vue comme une pure justice, étroitement liée à la loi du talion sans doute, et celle la considérant comme un acte inhumain car consacrant un sentiment de désespoir fatal quant à l’humanité de l’être humain. Entre les deux, il y a certes des baux d’histoire, mais il y a aussi une grande distance entre les intelligences culturelles et civilisationnelles. Au final, la question est gérée au nom de la spécificité et du droit à la différence, non sans mettre la pensée humaniste dans un malaise de sa rationalité.
Mais pour notre propos, ici et maintenant, force est de souligner que l’intervention du Président de la République auprès de son homologue qatari, pour lui demander de reporter l’exécution du condamné, s’inscrit bien dans une tentative de remédier à l’urgence, mais qu’elle n’est pas étrangère à notre inoubliable bras de fer politique. En effet, depuis un certain temps déjà, depuis une circonstance funèbre, le Président s’est mis à creuser sous les fondements de l’alliance historique entre Ennahdha et le Qatar, d’autant plus que, dans ce cas précis, c’est apparemment le parti du président de l’ARP, ou au moins un de ses représentants, qui conduisait la défense de l’inculpé. Voilà donc un point de marqué par le Président de la République, sur son propre terrain, celui de la diplomatie.
Cependant, cela nous rappelle aussi les deux visites en France, davantage de concurrence que de consonance : celle du président de la République et celle du président du Gouvernement. Beaucoup d’encre à coulé en commentaires de ces visites, mais on les rappellerait aujourd’hui pour souligner encore l’esprit d’entreprise de Kaïs Saïed cherchant à prendre le pas, en son terrain propre, sur les interventions répétées de ses concurrents politiques cherchant à l’y devancer. L’annonce, par la présidence de la République, d’un important don chinois de vaccins contre la covid, promis pour très tôt, marque un nouveau point au profit du « Chef de l’exécutif » de notre pays. Elle chercherait à mettre à nu un manquement gouvernemental pallié, dans son esprit, par la « vraie », « l’unique » et la « légitime » présidence de l’exécutif.
En définitive, force est de reconnaître que la présidence de la République est en train de marquer des points dans le camp de ses « adversaires » politiques. Le résultat est aussi relativement favorable à la Tunisie. Mais l’important, ne serait-ce pas, d’un côté comme de l’autre, de transformer la concurrence égocentrique en une émulation pour l’intérêt commun et de réinitier la programmation et l’action de gouvernance sur la rationalité et la sérénité de la conversation et sur la fédération des énergies pour le développement et le bien-être partagés ?
Pour ce faire, il faudrait de nombreuses qualités intellectuelles et morales, autrement dit une commune plateforme éthique ; mais il faudra surtout beaucoup d’humilité.
(Publié aussi dans jawharafm.net)