Il suffit d’évoquer le nom de Ahmed Brahim pour que surgisse une image qui, à elle seule, brise l’idée que l’on se fait communément du militant de gauche et de l’intellectuel. Son sourire éclatant, l’expression avenante de son visage, son humour, sa courtoisie, son aptitude à dialoguer, son rejet des préjugés et des partis-pris témoignent en effet de son ouverture d’esprit, qualité que l’on hésite à prêter à ceux qui défendent une cause ou soutiennent un mouvement de pensée.
Ahmed Brahim n’emprisonnait pas sa pensée dans un cadre circonscrit et, s’il restait fidèle à ses principes de militant communiste, il était capable, quand la situation politique l’exigeait, de dialoguer, voire de s’allier avec ses adversaires politiques. En 1993, par exemple, il fonde, avec d’autres militants du PCT, le mouvement Ettajdid, rassemblement de militants progressistes et, en 2008, il participe, au nom de son parti dont il était le secrétaire général, depuis 2007, à la fondation de l’Initiative nationale pour la démocratie et le progrès qui regroupait des personnalités indépendantes progressistes, le Parti socialisme de gauche (PSG) et le parti du Travail patriotique et démocratique (PTPD).
Capable de comprendre et de soutenir certaines alliances comme un mal nécessaire, telle l’Union pour la Tunisie (UPT), Ahmed Brahim n’est pas homme à admettre l’hégémonie d’un parti sur un autre ni l’oubli des engagements. Dans un article, paru dans Attariq Aljadid, (24 au 30 mai 2014, n°373), intitulé « Lettre d’un petit Maltais à la Grande Allemagne » et adressé au fondateur de Nida Tounès, Béji Caïd Esebsi, il déplore l’abandon du « principe de loyauté » par les acteurs politiques et « le spectacle désolant de divisions et de ʺtout à l’egoʺ qu’offre le paysage politique tunisien. Il ne cache ni sa colère ni sa révolte contre le revirement spectaculaire de Nida Tounès et sa décision d’aller vers les élections en abandonnant ses partenaires de l’UPT. « Ne vous laissez pas leurrer par la folie des grandeurs, écrit-il dans ce même article. Ne vous laissez pas enivrer par les fameux sondages ; n’oubliez pas cette devise, qui doit rester la nôtre à nous tous : ʺLa patrie avant les partisʺ »
Les appels de Ahmed Brahim n’ont pas été écoutés. Nida a laissé les démocrates sur la rive et ne pouvant naviguer seul, comme l’avait prédit Ahmed Brahim, il a dû se tourner vers celui qu’il prétendait combattre, le parti islamiste Ennahdha.