La République est un régime politique dans lequel le peuple exerce le pouvoir à travers des représentants élus démocratiquement et librement par tous les citoyens. Aujourd’hui, les événements qui ont eu lieu le 25 juillet 2021 ont dévoilé la profondeur et la complexité de la crise institutionnelle que traverse notre pays. Ils ont conduit les Tunisiens à considérer la République non pas comme un simple objet de réflexion philosophique et politique théorique étudié par l’élite des intellectuels et des Professeurs en droit constitutionnel, mais comme un sujet qui intéresse toutes les classes sociales et une expérience vécue intensément par tous les citoyens suscitant chez eux des déceptions, des frustrations, des critiques et de multiples questions. Pourquoi le régime politique républicain né en 2014 a-t-il totalement échoué ? Quelles sont les mesures qui pourront sauver notre République ?
Il est évident qu’il y aura un avant et un après 25 juillet 2021 et qu’il est quasiment impossible de retrouver au niveau politique la situation d’avant le 25 juillet. Les évènements qui ont eu lieu ce jour-là vont marquer l’histoire moderne de notre pays et constituer un vrai tournant dans l’évolution de nos institutions vers la démocratie ou la dictature. Par surprise et contre toute attente, le Président de la république a pris plusieurs décisions: il met à l’écart le chef du gouvernement, gèle les activités du parlement, décide la levée de l’immunité de tous les parlementaires et va présider en personne le parquet afin d’assurer efficacement les poursuites judiciaires de tous les corrompus. Le Président de la République s’est basé sur les dispositions de l’article 80 de la Constitution tunisienne de 2014. Or, les conditions énoncées par cet article sont-elles réunies ? Le Président de la République a-t-il consulté le chef du gouvernement et le président de l’Assemblée des représentants du peuple ? A-t-il le droit de s’immiscer dans la justice en assurant la supervision du ministère public?
Les opposants à Kais Saïed sont inquiets et leur crainte est renforcée par les moyens mobilisés : le Président de la République, en tant que chef des forces armées a demandé aux militaires d’appliquer ses décisions en interdisant l’accès au Parlement et au siège du gouvernement à al-Kasbah. Il s’octroie ainsi tous les pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Les partis au pouvoir, des figures historiques de l’opposition comme Hamma Hammami et Najib Chabbi et certains professeurs en droit constitutionnel comme Iyadh Ben Achour, considèrent qu’il s’agit d’un coup d’état constitutionnel« contre la révolution et contre la Constitution » d’après Nahdha. Ils demandent donc au Président de la République d’annuler ces mesures et de respecter la légalité. Selon eux, l’interruption du processus démocratique mettra en danger la Tunisie qui risque de sombrer dans le chaos.
Or il semble bien difficile de soutenir ce point de vue des opposants à Kais Saïed, car dès l’annonce de ces décisions, une explosion de joie populaire a submergé le pays et cette réaction populaire spontanée a été considérée par des observateurs tunisiens et étrangers comme un soutien indéfectible apporté au Président. En effet, des milliers de Tunisiens sont sortis dans les rues des différentes villes et diverses régions du pays pour exprimer leur joie en klaxonnant, en applaudissant, en tirant des feux d’artifice, en entonnant l’hymne national et en lançant des slogans de soutien au chef de l’Etat qui va s’offrir un bain de foule. Il déclare : « Selon la constitution, j’ai pris des décisions que nécessite la situation afin de sauver la Tunisie, l’Etat et le peuple tunisien ».
Peut-on parler dans ce cas de coup d’état? Je doute fort. S’agit-il alors d’un coup de tête d’un président qui cherche à déstabiliser ses adversaires ? Rien ne peut confirmer cette thèse. Bien au contraire l’examen des événements du 25 juillet 2021 montre qu’il s’agit plutôt d’un réel coup de génie d’un leader qui a bien compris les aspirations du peuple et qui veut agir efficacement pour préserver la République et bien la protéger. Il recourt donc à des moyens apparemment “anti-démocratiques” pour sauver la démocratie et sauver la Tunisie : « La situation actuelle nous a poussé à entreprendre des mesures exceptionnelles pour sauver la République et sa population » affirme le chef de l’Etat.
En effet, notre pays est réellement menacé d’un effondrement économique, politique et sanitaire. Le régime politique a totalement échoué et a plongé notre pays dans une grave crise institutionnelle et le gouvernement de Hichem Mechichi issu de ce régime a entrainé la Tunisie dans une chute vertigineuse dans les domaines économique, financier, social et sanitaire. Il a été incapable de mener des réforme réelles étant pris en otage par une classe politique caractérisée par l’incompétence, la corruption, l’arrivisme, le manque d’anticipation et de coordination, etc. Le parlement a été, lui aussi, paralysé par les oppositions et les conflits entre les partis politique. Du coup, il est devenu, non pas l’espace de dialogue, d’échange, d’invention et de renouvellement, mais le théâtre de violence verbale et physique transmise en direct à la télévision.
Dans un tel contexte catastrophique, les Tunisiens ont besoin d’un sauveur et s’il n’existe pas, ils vont l’inventer. Kais Saïed leur apparait comme un héros qui va leur offrir la bouée de sauvetage en prenant en main la destinée de notre pays et en menant :
- une lutte efficace contre l’effondrement économique qui a engendré un accroissement inquiétant du nombre des chômeurs surtout parmi les jeunes diplômes et une augmentation spectaculaire des prix,
- un assainissement de la vie politique en éliminant l’utilisation de la religion et de l’argent « sale » comme moyens de conquête des classes populaires
- un combat plus efficace contre le coronavirus qui entraine chaque jour environ 200 mort.
En somme, les Tunisiens attendent beaucoup de Kais Saïed. Ils ne supportent ni le retour de la dictature, ni l’effondrement économique, politique et social du pays. Ils veulent l’instauration rapide d’une nouvelle République fondée sur la liberté d’expression, d’association et de réunion, sur l’égalité entre tous les Tunisiens et sur l’indépendance de la justice. Tous ces droits ont été acquis grâce aux sacrifices du peuple tunisien et personne n’accepte de les abandonner. La nouvelle République doit donc s’inscrire dans le même élan de la Révolution de 2011 en permettant aux Tunisiens de réaliser toutes leurs aspirations.