Poésie : « Enfant, Lune et Poussière » de Salah Trabelsi
En attendant des jours meilleurs
“Enfant, lune et poussière”, c’est le nouveau-né du poète tunisien Salah Trabelsi. Encore un recueil qui vient galonner la création poétique en Tunisie. Un recueil de poèmes pleins de cris plaintifs et déchirants. C’est l’épanchement du cœur et aussi la révolte de tous les sens qui se brisent avec impétuosité sur les pages vierges devenues aussitôt noircies de plaintes, de cris et de souffrance, surtout qu’on a vécu une décennie pleine de douleurs, de souffrances, de privations et de déceptions. Dans cette présentation, je vais essayer de traduire quelques passages du recueil, tout en espérant que ma traduction sera plausible !
Ce nouveau recueil, paru aux Editions Thakafa, comporte 23 poèmes répartis sur 102 pages. Les textes ont été écrits entre 2011 et 2020, ce qui correspond à la décennie noire sous le pouvoir d’Ennahdha et de ses adeptes.
Le livre s’ouvre sur un texte plus proche de la prose que de la poésie où l’auteur revient sur les origines de la poésie depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Le début, c’était un mot, une parole, qui fait écho à l’âme d’un poète s’exprimant avec sensibilité et délicatesse pour évoquer des réalités, des états d’âme, des sentiments, des sensations, des rêves, moyennant des images évocatrices, des métaphores, des symboles, des tournures élégantes.
C’est ainsi que le poète définit la poésie en page 6 : « C’est l’expression des sentiments et des obsessions de soi à travers la composition d’un langage soutenu doté d’images, de métaphores, de rythmes et de musicalité pour faire découvrir aux gens des mots éloquents et pleins de symboles qui font rayonner des visions et des valeurs élevées. C’est un idéal débordant de beauté ! » Il ajoute en page 8 que « la poésie, en plus d’être un art sublime, elle doit procurer plaisir et jouissance. Avec son contenu de valeurs et d’idéaux, elle adopte un langage qui traduit le chagrin de l’homme, ses douleurs et ses blessures, ses joies et ses peines, ses échecs et ses victoires… »
Le titre du recueil annonce déjà les différents thèmes abordés. En effet, « Enfant » donne l’occasion au poète de réfléchir à la condition de l’enfance et de la jeunesse sous nos cieux, aux rapports de cette tranche d’âge avec son milieu, avec sa situation sociale. Alors que « Lune » le fait penser aux motivations des jeunes, à leurs ambitions. Quant au mot « Poussière », il évoque leurs espoirs anéantis, leurs rêves évaporés et leurs déceptions subies.
Toujours est-il que le thème prépondérant reste l’amour de la patrie, ce sentiment très violent exprimé par notre poète face à une patrie épuisée, intimidée, blessée et souffrante, étant victime de la mauvaise gouvernance d’une poignée de dirigeants sans scrupule qui ont usurpé le pays pour en dilapider les richesses et partager le butin. La patrie est donc une chose si grande, si chère, si sacrée qu’il est fier de son passé glorieux : « Tatouée d’histoire et d’époques depuis la nuit des temps, tes joues sont gravées des traces des civilisations qui ont imprimé notre identité…Berbères… Phéniciens… Romains et Byzantins. Arabes et Turcs… L’Islam est notre religion… Ô Tunisie des civilisations, comme ton souvenir est agréable » P : 30
Il va jusqu’à l’assimiler à la bien-aimée, tant il l’adore : « Tes yeux, tels des violons, révèlent de la musique. A travers ses rythmes, la vie se reproduit en nous. Nous prendrons une goutte de son élixir avec laquelle nous guérissons notre douleur, et le mal disparaitra, ô charmant gitan !… Du bleu de tes yeux, nous ferons une vague que nous chevaucherons sans craindre ni flux ni reflux … » P : 31
Presque dans tous les poèmes du recueil, le poète, tout en exprimant son amour pour la patrie, la pleure et la plaint avec beaucoup d’émotions. Rien que dans le premier poème intitulé « Des feuilles qui tremblent sous la fureur de l’hiver », on relève des mots comme « hiver », « tempête », « vent », « blessures », « douleurs », « chaos », « boue », « tristesse », labyrinthe », « mirage », « nuit », « enfer », tout un champ lexical qui renvoie à cette situation lamentable que nous avons vécue durant ces dernières années.
C’est dans le poème qui porte le même titre que le recueil « Enfant, Lune et Poussière » que le poète s’exprime avec plus de force pour décrire la situation du pays, des rêves de l’Enfant et de ses espoirs qui se sont effondrés et se sont réduits en « Poussière ». C’est ainsi qu’on peut lire en page 37 ce qui suit : « Le cher enfant a continué à bavarder avec sa lune, jusqu’au matin. Mais il ne savait pas quel secret avait ce matin ! Une poussière est apparue à l’horizon… Entre nous et la lumière, s’est élevé un mur… et une obscurité épaisse s’est étendue au loin sur les buttes et les collines ! C’est la poussière qui s’est répandue dans le blanc des yeux et a obscurci les visions, des visions qui se sont évanouies dans la brume… »
Toujours dans le même poème, l’auteur exprime son indignation quant à la situation dans le pays. Il dit avec beaucoup de douleur : « La patrie est un pion dans les mains des joueurs impitoyables. Pas de pain pour les affamés. L’épi du cultivateur nait sans graines. La cité est devenue une jungle… De mauvaises graines germèrent, tels des pseudo-hommes, créés à partir d’un métal rouillé et de roseaux. Avec de l’argent sale, ils se sont imposés. Comme tu es innocent cher enfant ! Ils ont volé tous tes rêves, ils les ont étouffés par leurs illusions… »
Il est à rappeler que Salah Trabelsi est un poète tunisien très connu sur la scène littéraire. Il commença à écrire et publier depuis 1994, date de son premier livre. Depuis, il multiplie ses créations littéraires jusqu’ à ce jour, ayant à son actif douze livres.
Hechmi KHALLADI