Nous approchons, très vite et dans une tension peu apaisée, de l’échéance du 25 juillet 2022, celle de voter le référendum concernant le nouveau texte de la constitution. Certains parlent du recul de cette échéance, pendant que d’autres vantent la nouvelle constitution de la troisième République. Plus le temps avance et plus je pense à la phrase d’ouverture de l’allocution du général de Gaulle, prononcée le 25 avril 1969, deux jours avant le référendum qui allait précipiter son départ et sceller son mandat présidentiel : « Françaises, Français, vous, à qui si souvent j’ai parlé pour la France, sachez que votre réponse dimanche va engager son destin. Parce que d’abord, il s’agit d’apporter à la structure de notre pays un changement très considérable », ainsi parla De Gaulle et ainsi me semble murmurer le président Kaïs Saïed, pour lui-même, en aparté, avant de prononcer sa propre allocution à l’occasion du référendum annoncé.
De son côté et à la lumière des commentaires et des avis entendus par-ci par-là, le citoyen tunisien me paraît déjà essayer de se régler au chronomètre et au tensiomètre d’une allocution de ce genre, tellement sera grave sa réponse finale à la question du référendum, dans les deux principaux sens de l’adjectif grave, celui « de grande importance » et « de fâcheuses conséquences ». En effet, sa réponse, ce jour-là, engagera son destin soit vers une sortie de crise expressément et rapidement souhaitée, soit vers un nouveau tunnel à l’issue incertaine et à effet frustrant. Le plus délicat dans la situation, c’est que les débats politiques, nettement marqués par une dualité inconciliable, ne l’aident pas assez à faire la juste part des choses entre deux thèses apparemment contradictoires, mais pleinement cadrées dans des limites idéologiques aliénantes et manipulatrices.
D’un côté on défend la démocratie en la définissant comme nécessairement fondée sur le pluralisme politique. Telle a été la tradition et telle elle restera, entend-on à tout bout de champ. Mais le citoyen tunisien a désespéré de cette démocratie ainsi définie et toujours brandie comme un prétexte pour ceux qui, à la fin, en profitent et font ce qu’ils veulent, conduisant ainsi le pays vers le désastre le plus terrible. Tel est le cas de ceux qui ont gouverné au nom de la démocratie « gagnée », de 2011 à 2021, sans d’ailleurs une imputation sérieuse et effective, autrement que par un dénigrement discursif. Des propos dans le vent !
De l’autre côté, on appelle à l’état d’exception pour une opération dite de « nettoyage » et de sauvetage, par une mise en marche sur la voie de la « droiture », même si elle paraît peu conforme à la voix du droit. Ce n’est que provisoire et ça viendra, répondrait-on à une telle objection !
La polémique tourne alors autour de deux inconciliables se rapportant à la nouvelle constitution telle que conduite jusqu’à son élaboration : d’un côté, les « démocrates » disent ne pas la concevoir sans le pluralisme partisan, quels qu’en soient les défauts et les défaillances ; de l’autre, on la voit possible à partir d’une réflexion conduite par des spécialistes et soumise à la volonté populaire dans un vote référendaire.
C’est l’occasion peut-être de se souvenir que l’option d’une nouvelle constitution, en 2011, a été imposée par ceux qui, aujourd’hui, n’ont rien d’autre à afficher que leurs échecs respectifs devant la situation dramatique du pays. Il y avait pourtant une autre voie possible, celle qui suggérait la réactualisation et « l’assainissement » de la constitution de 1959, pour soumettre le résultat de cette révision au vote populaire et permettre au pays de continuer l’entreprise du développement, sans tous les dérapages qui s’étaient installés très vite en 2011, générant les dysfonctionnements les plus inhibiteurs et les plus destructeurs qu’un État moderne puisse connaître ! C’est pour cela que plusieurs citoyens, de plus en plus nombreux, commencent à se convaincre par l’idée, partagée avec l’UGTT, qu’il faut attendre le texte, annoncé pour le 30 juin, pour se positionner et se prononcer à partir de son contenu effectif, et non celui fuité à plusieurs occasions. Ceux-ci disent refuser tout simplement l’opposition de principe, une opposition pour l’opposition, dont on devine bien les dessous politico-politiques.
Voilà où en est la Tunisie, onze ans et demi après un événement où elle croyait voir son salut ! Attendons voir la suite des événements car, malheureusement, à ce rythme et avec un tel état d’esprit, on ne sera peut-être pas bientôt sorti de l’auberge.