Par Mansour M’henni
Ce qui se lit sur les réseaux sociaux, ces derniers jours qui précèdent le référendum du 25 juillet 2022, est à la fois inquiétant et intéressant à examiner pour mieux comprendre certains (dys-)fonctionnements politiques de notre société. J’ai été particulièrement frappé par l’échange accompagnant un statut de l’ancien ministre Faouzi ben Abderrahmen, critiquant violemment, à la limite même de la correction (« Je suis en colère ! », s’en justifie-t-il), un statut de Mustapha Ben Jaafar, l’ancien président de l’assemblée constitutive qui nous a pondu la constitution de 2014, objet des avis les plus tendus et les plus variés, et considérée comme à la base du revirement accusé le 25 juillet 2021.
J’avoue avoir moi-même un avis très critique à l’égard de Mustapha Ben Jaafar dont le parcours politique me paraît totalement à contrepied de la confiance qu’il avait inspirée à la création de son parti au début des années 2000. En effet, dix ans plus tard, la changement politique de 2011 aidant et séduisant, d’autres calculs lui ont dicté de nouvelles coalitions et des stratégies de circonstance. Il en a tiré un semblant de prestige censé durer une année mais prolongé à trois années ; mais aussi un effritement de son parti et une perte de crédibilité presque généralisée. Cependant, cela n’ôte pas à Ben Jaafar sa citoyenneté et son droit à crier haut et fort sa position quant à ce qui concerne le pays, indépendamment de toute réaction que sa position provoquerait chez ses concitoyens. C’est pourquoi voir F Ben Abderrahman l’attaquer avec une virulence caractérisée est on ne peut plus étonnant. Ainsi se justifieraient alors les commentaires de plusieurs internautes reprochant son attitude à l’ancien ministre de l’Emploi et ancien militant de Nidaa Tounès, tout en encaissant ou en reconnaissant les principales défaillances de B. Jaafar à la responsabilité politique qu’il avait manqué d’assumer au temps opportun.
Pourtant, c’est au nom de la démocratie que B. Abderrahman conduit son combat, persévérant et très critique de la plupart des tendances politiques en action mais particulièrement concentré sur le processus aligné derrière Kaïs Saïed. Ses premiers statuts, au moins depuis 2021, se caractérisaient par une rationalité certaine, malgré l’aspect contestable de certains arguments donnés à l’appui. Mais avec le temps, une relative violence se laissait percevoir entre ses mots et on le voyait rejoindre les discours de certains opposants politiques qui, incapables de s’imposer ou d’imposer leurs opinions, poussaient le zèle jusqu’au dénigrement des personnes, à la diffamation, voire même à l’insulte.
Que conclure donc de cette situation, apparemment circonscrite dans un objet précis et dans un temps limité, mais traduisant en réalité une vraie façon d’être à la démocratie, d’abord chez nous, mais aussi plus largement dans différentes parties de notre monde ?
Tout simplement que nous n’avons ni une vraie intelligence du concept de démocratie ni une rationalité généralisée et partageable, le plus largement possible, de la stratégie idoine pour parvenir à la façon d’être à la démocratie, par le dire et par le faire, dans la perspective du meilleur vivre-ensemble dans lequel le respect de l’autre reste le pilier principal.
C’est ce respect qui est censé dicter d’abord l’éthique d’humilité à ceux d’entre nous qui se croient supérieurs, qui au nom d’une intelligence exceptionnelle rattachée à des acquis cultuels, culturels ou intellectuels, qui au nom d’une ascendance d’appartenance à une catégorie sociale, familiale ou régionale, et qui encore au nom de certains pouvoirs occultes dont on ne serait autorisé à percer les secrets.
Malheureusement, le plus souvent, l’expression même de l’humilité n’est autre qu’un stratagème, lui aussi biaisé, pour imposer une certaine ascendance et pour légitimer un droit au pouvoir. Beaucoup de temps et de travail nous attend pour approcher un tant soit peu des valeurs d’une démocratie authentique, aussi idéale et inaccessible qu’elle nous paraisse ! N’empêche que nous devons faire ce qu’il faut pour nous en approcher…