Indépendamment de ses retombées, le 18e sommet de la francophonie fut “une réussite en matière d’accueil, d’organisation, de déroulement des travaux” selon l’auteur d’ un article intitulé “Sommet de Djerba : contour d’un nouvel ordre d’une francophonie rénovée”. En conclusion, il affirme : “nous savons parler aux élites mondiales, aux gens d’influence planétaire, mais nous ne savons pas parler aux Tunisiens et les convaincre”.
“La parole est idée” dit le poète. Et à Jerba, il y avait, en effet, plein d’idées et de promesses.
Au parc « Djerba Explore » qui brillait de mille feux, organisateurs, visiteurs, enfants de tout pays, étaient « connectés dans la diversité », comme le veut le slogan, joyeux, festifs, ouverts. Une jeunesse impressionnante de créativité et d’énergie investit en masse les expositions, conférences-débats, spectacles, concerts…Le charme opère. Le tempo vous emporte et les résonnances de l’avenir pénètrent en vous, puissantes, profondes.
Pendant une semaine, la mythique Jerba, désignée autrefois « l’île des lotophages», (en référence au lotos, plante qui fait oublier qui on est et d’où on vient) a été le lieu de tous les possibles. Tout, en effet, semblait à portée de main excepté le livre francophone, les écrivains, les penseurs et les éditeurs tunisiens qui, eux, étaient quasiment absents du paysage.
Dans l’absence, ils continueront à écrire et à publier en français, à récréer cette langue de liberté et de contestation, à croire en une Francophonie sans a priori et sans complexe. Sans grandes illusions non plus.
Bourguiba, le fondateur et l’autre présent-absent de ce sommet, n’aimait pas le mot « francophonie » disait-il. Il l’a re-sémantisé et en a fait un concept au sens proche du « commonwealth », à savoir une «communauté linguistique » qui « respecte les souverainetés de chacun et harmonise les efforts de tous».
Tous, c’est les acteurs socio-politiques des cinq continents, les hommes d’aujourd’hui et de demain. Car, explique-t-il, la francophonie « n’est pas un antique héritage. C’est une greffe ». Pour qu’elle prenne, il faut travailler sans relâche, construire et propager notre « Être national », faire face aux intempéries et bouleversements de l’Histoire….
« Le français n’a peut-être plus le caractère éminemment universel qui fut le sien », affirme Bourguiba en mai 1968 dans le discours de Montréal en ajoutant que ce changement est « peut-être une chance pour lui [le français] et pour les peuples qui lui ont accordé leur fidélité ».
Repenser l’enseignement de la langue, revisiter nos programmes et notre système scolaires s’imposent aujourd’hui plus que jamais comme une « chance » : pour nous, qui devons apprendre à “parler” avec réalisme et lucidité aux “élites mondiales”, et pour elles, les élites qui gagneraient à nous écouter et à mieux nous connaitre…
Espérons que la « découvrabilité », ce mot nouveau qui a retenti avec force au sommet de Jerba sera la clé d’une ère nouvelle…