De nombreuses questions ont découlé des différentes interprétations des notes et des résultats du baccalauréat 2024. Certes, cela n’est pas nouveau, mais la reprise, à chaque fois, de la question du déséquilibre régional à ce propos invite à s’arrêter suffisamment devant ce problème pour essayer d’en raisonner les effets et les causes.
Au départ de ce retour à la question, il y avait donc une carte de la répartition géographique des résultats, publiée sur les réseaux sociaux et ainsi commentée : « Cette carte traduit la réalité du pays : les zones rouges sont les plus riches économiquement et donc les plus performantes au niveau éducatif, et plus la couleur vire au jaune, plus les taux de réussite à tous les niveaux sont faibles. C’est ainsi qu’ils ont divisé la “République” et c’est ainsi qu’ils l’ont voulue depuis l’aube de “l’indépendance” : des peuples pauvres et affligés, des peuples honorables et fortunés, et c’est ainsi qu’ils ont établi le régionalisme et la politique des classes sociales, et qu’ils se sont emparés des richesses du pays. Adieu alors à l’égalité des chances et au slogan “ordre, liberté, justice”. »
Il est clair que ce commentaire est marqué par un conditionnement idéologique qui colle aux idées développées, pourtant légitimes, une confusion aveuglante et qui constitue un grand obstacle à la rationalisation du problème et à la quête des solutions sagement envisageables pour le dépasser. En effet, la citation semble remettre en question l’idée de république dans notre pays et des valeurs fixées sur ses armoiries, ainsi que la notion d’indépendance et sa valeur historique et symbolique. On entendrait encore résonner, sans raison convaincante, les propos d’un opposant des dernières années du siècle dernier, qui prétendait fonder la vraie république en Tunisie à partir d’un parti politique dont l’Histoire, après janvier 2011, a fini par démonter et dénigrer aussi bien les idées fondatrices que l’affairisme qui lui était sous-jacent.
Aujourd’hui, construire me paraît gagner en pertinence en ne cherchant pas à faire table rase de ce qui a été fait, mais en l’étudiant et en l’analysant aussi objectivement que possible pour en reconduire les bienfaits et en corriger les méfaits. Il n’est donc peut-être pas adéquat de (re)parler de régionalisme alors qu’il conviendrait de parler de « déséquilibre régional », sous prétexte de défendre le droit des citoyens, où qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, à bénéficier de ce que le pays leur fournit, indépendamment de toutes les formes d’appartenance dont ils se reconnaîtraient. C’est que le déséquilibre régional est une conséquence de l’évolution d’une société ; il découle de plusieurs facteurs mais il n’est pas à compter forcément à l’ordre d’une quelconque intension de nuisance ou de dévalorisation de certains concitoyens au profit des autres. Par contre le régionalisme est une idéologie et un mal dangereux rongeant intentionnellement la structure et la cohérence d’une société.
Sans entrer dans les détails, dont il importe de faire de riches sujets de conversations démocratiques, il me paraît important, dans les limites de cette chronique, de conduire trois idées à ne pas négliger à propos de ce problème :
1 – D’abord le déséquilibre régional est surtout le produit de contraintes logistiques et de données géopolitiques qui font que le développement s’épanouit plus dans certaines régions, sur le littoral particulièrement, que dans d’autres, dites régions de l’intérieur. Ce déséquilibre est donc hérité du passé, aussi bien colonial que précolonial. Aussi est-il devenu un paramètre déterminant pour le lancement d’une politique de développement économique à l’aube de l’indépendance. Pourtant, sans chercher vraiment à la défendre, la politique de la Tunisie indépendante a essayé de corriger, au moins partiellement, ce lourd héritage. Cependant, l’exode vers les grandes villes du littoral n’a pas permis à l’action d’être à la mesure des intentions.
2 – En corollaire, on peut toujours essayer d’étudier le nombre de citoyens des régions de l’intérieur qui acceptent de se réinstaller, professionnellement, dans leurs cités natales, en proportion de ceux qui tiennent à rester dans les villes du littoral pour se contenter de visites formelles à leurs régions natales ou de présence politiquement active pour des opportunités électorales. Ici me revient à l’esprit la déclaration d’un ancien gouverneur de Sousse qui répondaient à ceux qui développaient l’idée d’une réduction du budget alloué au gouvernorat ; il dit : « Mais 60% des habitants de Sousse aujourd’hui sont originaires des régions de l’intérieur et le budget, c’est à eux qu’il est destiné ! » Parole à méditer…
3 – Par contre, parler de conforter l’enseignement dans les régions internes, aussi bien en appuis financiers, logistiques, intellectuels et culturels, oui, c’est pertinent et c’est à toute l’intelligence citoyenne, en interaction avec l’Etat, de lui trouver les meilleurs moyens et la méthodologie idoine.
Le déséquilibre régional n’est pas le résultat d’un régionalisme des « Ils » non explicités dans le commentaire de la carte des résultats du bac ; il relève de notre responsabilité collective, où que nous soyons, et c’est cela qu’il faudrait repenser aujourd’hui, loin de tout régionalisme de manipulation.
(Publié aussi sur jawharafm.net)