On n’arrêtera pas de sitôt de commenter étonnamment ni de critiquer violemment certaines pratiques administratives qui paraissent contrer l’évolution de la société et les textes de lois qui la gèrent. Si le phénomène est toujours perceptible en tous temps, il a pris sa plus grande ampleur depuis 2011. Il a commencé par vanter le mérite de l’administration tunisienne qui a résisté à tous les dérapages générés par une sorte d’anarchie présidant aux premiers moments de ladite « révolution tunisienne », puis il s’est fixé très vite, et pour dix ans au moins (baptisés « la décennie noire », en juste échos à un ridicule « livre noir »), sur l’infiltration de l’administration par des parvenus qui semblaient chargés d’une mission peu louable concoctée dans « les pages sombres de l’idéologie nahdhaouie ».
Si pour certains cela relève naturellement de tous les changements brusques dans l’histoire des sociétés, pour d’autres cela se lit comme un indicateur de fragilité et de dysfonctionnement à même de mettre en danger la cohésion sociale et son idéal du vivre-ensemble. De là d’ailleurs la divergence des points de vue quant à la légitimité ou non d’une action politique d’opposition par déstabilisation administrative interposée. Ces questions se croisent et parfois croisent les armes sur les réseaux sociaux surtout et dans les discussions à bâtons rompus dans des lieux publics comme les cafés.
À l’écoute de quelques-unes de ces discussions, j’ai relevé certains détails qu’il me semble important de souligner tant leur aspect anecdotique touche à l’essentiel du rôle de l’administration comme un garant de bonne santé sociétale.
Le premier, j’en avais parlé précédemment et ça perdure, c’est le fonctionnement établi dans les administrations où on avait installé des écrans électroniques pour annoncer le tour de chaque client (comme la poste, la municipalité, la steg, la sonede, etc.) et où la logistique chèrement payée à cet effet, doublée aussi d’un agent de contrôle sur place, devient elle-même un moyen de trafic, de favoritisme et d’abus ou d’insuffisance de pouvoir dans le bon déroulement des choses.
Le deuxième détail concerne quelqu’un qui avait besoin d’un acte de notoriété de décès d’un parent et qu’on a obligé à fournir de nouveaux actes de décès datant de moins de trois mois, comme pour l’acte de naissance. Il était déconcerté et disait qu’il ne comprenait rien à cette logique, pourtant compréhensible pour les actes de naissance d’un vivant car ce dernier peut changer de situation en trois mois. Mais un décédé, et de plusieurs années !!! Pourquoi faut-il un extrait de décès de moins de trois mois ? Est-ce parce qu’il pouvait ressusciter à tout moment et reprendre une nouvelle vie ? J’avoue que ses arguments ne me laissent pas indifférent.
Cependant, le troisième et dernier détail que j’évoque me paraît encore plus étonnant ; il vint d’ailleurs de la même personne. Une fois que ce Monsieur a fini par répondre à la demande de toutes les pièces exigées, comme précisées par l’agent de service du tribunal habilité, la dame du bureau lui demande de revenir une semaine plus tard avec deux témoins, en insistant, à trois reprises : « Deux témoins masculins, deux témoins masculins… Deux témoins masculins ». Au café, le Monsieur précise qu’il n’a pas voulu commenter l’injonction de la dame, toute contenue dans sa tenue voilée, de peur qu’elle ne fasse obstruction à son acquisition rapide du document pressé ; mais il trouve, en compagnie de ses amis, une latitude d’expression qui lui permet de se défouler suite à sa frustration contenue :
« Je croyais que la Tunisie était le premier et peut-être encore le seul pays musulman ayant institué le Code du Statut Personnel, sur la voix de l’égalité des deux sexes ?! Juridiquement, cela date de la Loi No. 1957-3 de 1957, réglementant l’état civil, dans son article 4 qui stipule que “les témoins produits aux actes de l’Etat Civil devront être âgés de vingt ans au moins, parents ou autres, sans distinction de sexe ; ils seront choisis par les personnes intéressées”. Puis, ultérieurement, tous les textes officiels de cet ordre n’ont fait que s’inscrire dans le progrès de la même pensée. Les rumeurs des intégristes pendant le gouvernement d’Ennahdha et ses complices (malheureusement de certains prétendus progressistes) ont été vouées à l’échec parce que la société tunisienne est majoritairement immunisée contre le poison de la régression. Voilà comment on nuit au bon fonctionnement de l’État en infiltrant l’administration d’agents inadéquats ! »
À ce propos, je garde mon avis pour moi et laisse mes lecteurs y réfléchir et en converser…