Par Mansour M’henni
Il y a quelques jours, devant toutes les urgences auxquelles il doit faire face et face aux nombreuses difficultés qu’il rencontre, le gouvernement a appelé, encore une fois, à la création d’un « Fonds de Solidarité Nationale » à même de servir d’un adjuvant à une démarche politique conciliant la relance économique et la prise en compte des problèmes sociaux. Cet appel n’a pas fait grand effet auprès des citoyens en général et des fournisseurs de subventions en particulier. Par trop de scepticisme sans doute parce que nous n’avons pas arrêté clairement une pensée pratique de la notion de solidarité, nous permettant même de la dénigrer chaque fois que nous avons besoin de le faire pour une quelconque manipulation politique.
Qu’on se souvienne encore de ces campagnes acharnées, les premières années de l’après janvier 2011, contre le Fonds de Solidarité Nationale, alias 26-26, pour le charger de toutes les corruptions qu’aucune instance juridique n’a validées de façon juste et justifiée. Au contraire, certains enquêteurs et contrôleurs chargés de dépouiller le dossier ont avoué, en catimini, qu’il n’y avait pas de défaillance décelable ni de corruption attestée dans la gestion de ce fonds. Au final, cette campagne n’a réussi qu’à décrédibiliser toute initiative du genre, pour se contenter, au besoin de la foi religieuse, de quelques gestes de charité difficiles à intégrer dans une vision cohérente et coordonnée de la gestion politique nationale.
Il y aurait même comme une tendance à vouloir gommer les racines historiques de la solidarité sociale civile, déjà dans les années 20 du siècle dernier avec Tahar Haddad, puis dans la jeune Tunisie indépendante. Rappelons surtout que le principe de solidarité a certes toujours relevé du langage humanitariste, mais qu’il serait à situer d’abord dans la pensée humaniste, à condition de se demander sérieusement de quel humanisme il conviendrait de parler et quelles fonctions reconnaître, dans cette pensée, à la pratique solidaire. Autrement dit, il nous revient surtout, aujourd’hui, de repenser la solidarité et l’humanisme même ?
« Humanisme » est un mot bien curieux parce que le concept qu’il désigne traverse l’histoire et couvre l’espace de la pensée. D’aucuns le font remonter au V° siècle avant notre ère alors que d’autres tiennent à l’enraciner dans cette fameuse période de transition qui correspond au Moyen-Âge de l’Occident et à sa Renaissance. Par ailleurs, l’humanisme apparaît d’abord comme un courant de pensée, né peut-être d’une vision éthique des rapports entre les hommes ; mais il s’impose ensuite comme une philosophie implantée dans la pratique littéraire, avant que le mariage consommé entre philosophie et politique n’en fasse une idéologie, malheureusement monnayable aux frais des espoirs des peuples et des ambitions des nations.
Pour ce qui nous concerne, ici et maintenant, l’humanisme est d’abord une pratique de gestion des affaires de la Cité sur la base d’un fondement éthique faisant de l’homme le but et l’outil du développement et faisant du respect de la dignité humaine un principe inaliénable et une valeur incontournable. Pour ce faire, l’humanisme et son adjuvant, la solidarité, sont à repenser exclusivement en mode de responsabilité citoyenne et non en mode de charité. Celle-ci peut garder sa dimension religieuse, au niveau individuel, mais la solidarité ne saurait jouer son rôle et réussir son effet qu’en mode civil de la responsabilité citoyenne, faisant abstraction de « la main de dessus » et de « la main de dessous », donc de tout statut valorisant l’une au détriment de l’autre comme dans le célèbre dicton de chez nous (اليد العليا خير من اليد السفلى). Faire donc de la solidarité une culture citoyenne et un engagement civil, contribuant à l’ancrage de l’égalité citoyenne, et ne pas la confondre avec la charité qui est du registre religieux et de la stricte liberté cultuelle.
Or une politique de citoyenneté solidaire, dans une société néo-humaniste, serait fondée sur la réconciliation du citoyen avec sa citoyenneté et sur l’assainissement politique par l’instauration d’une ambiance de dialogue et de concertation, dans la franchise et la tolérance qu’il faudrait, et par le refus de l’épreuve de la violence et du sang comme voie privilégiée pour le dépassement de toute crise aussi insurmontable qu’elle paraisse. Cette politique de citoyenneté reposerait également sur l’édification d’une stratégie de développement durable assurant l’équilibre nécessaire entre la dimension économique et la dimension sociale et sauvegardant un environnement favorable à la protection écologique et à l’épanouissement physique et moral du citoyen ! Sur un autre plan, elle orienterait les programmes en matière de communication, d’éducation, d’enseignement et de recherches technologiques, vers la promotion du citoyen comme une somme de valeurs intellectuelles, morales et professionnelles !
En conclusion, ce qu’il nous faudrait aujourd’hui, c’est faire de la politique de solidarité une vraie philosophie politique capable d’inspirer des réadaptations appropriées à toutes les sociétés, dans notre pays et dans toutes les régions du monde.
(Publié aussi dans jawharafm.net)