Voilà un autre de ces moments forts de la crise de la démocratie représentative, toute fondée sur la politique politicienne et sur la manipulation rhétorique. Le pays qui se vantait de vouloir apprendre aux autres ce qu’est la démocratie se voit humilier par l’un de ses présidents sortants, dans la folie d’un discours haineux et sa « rhétorique guerrière ».
Certes, on ne peut condamner les USA pour la folie de l’un des siens, serait-il son président, mais on ne saurait manquer au devoir de constater la fragilité de la démocratie comme idéologie et de recevoir sa prétendue représentativité comme sa maladie pernicieuse et chronique. Rappelons que le premier à avoir mis le doigt sur ce mal de la démocratie naissante à Athènes, en l’occurrence Socrate, s’est vu condamner à mort par cette même démocratie, 399 ans avant J.C. Depuis, la démocratie représentative trône impérialement sur le concept et la rhétorique lui sert d’armée imbattable.
Que l’on ne s’y trompe pas, ce propos ne réclame ni le pouvoir individuel ni une quelconque oligarchie, de quelque nature qu’elle puisse être. L’Histoire des pouvoirs montre assez combien ces derniers peuvent être plus néfastes que la démocratie représentative, souvent justifiée par le fait qu’elle soit considérée comme « le moins mauvais des régimes ». Ce qui nous semble interpeler l’intelligence humaine, c’est l’interrogation et la remise en question de cet état de fait pour voir s’il y a une sortie plus rationnelle et plus humaine vers un « esprit nouveau », plutôt que de continuer à défendre un système de gestion des sociétés qui va toujours en pourrissant, l’argent et les médias aidant.
Voyons encore ce qui s’est passé ce 6 janvier 2021 aux USA, devant et au centre même du Capitole. C’est l’effet pervers du discours trumpien que François-Emmanuel Boucher, dans son livre Le Trumpisme (PUL, 2020, 150 pages), lui donne comme caractéristiques « le refus radical des nuances, l’humiliation totale des adversaires […], le rejet de la moindre forme d’intellectualisme, la mise en scène d’une virilité criante et sans mesure, le tout bonifié de la grossièreté la plus visible et la plus déplacée ». Voilà bien résumée cette rhétorique de la haine et de la violence guerrière, comme cela a été rappelé à cette occasion partout dans le monde qui se dit démocratique. Reste à se demander si, dans ce même monde aujourd’hui scandalisé, certains de ses dirigeants n’ont pas été, ne sont pas, peu ou prou trumpistes.
C’est que le trumpisme, comme le racisme et comme tout exclusivisme, « commence au coin de la rue » et nulle société n’en est protégée si elle n’œuvre pas activement à faire prévaloir, par l’éducation et la culture, par le sens du respect et de l’égalité, l’esprit d’une société de conversation aux antipodes des plateaux médiatiques et d’institutions représentatives qui ne (se) manifestent que pour déballer leur animosité, leur haine et leur vulgarité. Regardons autour de nous pour voir comment nous baignons dans le trumpisme, jusqu’à nous y noyer.
Dans sa chronique du 17 octobre 2020 dans ledevoir.com, Louis Cornellier tirait déjà la sonnette d’alarme pour ses concitoyens français. Nous lui empruntons cette citation pour conclure notre propos et adhérer à la même méfiance : « La logique trumpienne, écrit Boucher, rejette “la valeur de l’argumentation et la nécessité de l’échange” au profit d’un enfermement dans des passions irrationnelles. Aux citoyens blessés par la mondialisation, inquiets devant l’ébranlement de leur identité nationale et négligés par une gauche qui a perdu le nord, il propose un refuge dans le ressentiment. C’est inquiétant et c’est à nos portes, voire déjà sur nos réseaux sociaux. Il y a des leçons pour nous aussi là-dedans ».
(Publié aussi sur jawharafm.net)