Dernièrement, en passant devant une administration de la STEG, bien que pressé par le temps pour des affaires importantes, j’ai décidé d’entrer pour régler ma facture déjà en retard d’une journée. Il y avait des fonctionnaires qui, devant leurs ordinateurs, répondaient aux besoins des clients ; mais à la caisse, il y avait deux guichets, tous deux vides de personnels. Un autre client semblait attendre depuis un certain temps déjà, car il était impatient, énervé presque, plus pressé que moi sans doute.
Renseignement pris, nous avons appris qu’un guichet n’était pas fonctionnel et que l’agent du second était allé faire sa prière. Nous avons attendu dix minutes encore, mais mon compagnon d’attente n’en pouvait plus ; il a décidé de laisser sa facture et son chèque au guichet et est parti chercher le Monsieur dans la mosquée à côté. De mon côté, je me suis permis de faire une remarque à l’attention des deux autres agents en service, leur signifiant qu’ils seraient gentils de la lui communiquer hors d’un contexte de tension. « Vous savez, le Coran n’a appelé à quitter le commerce social que pour une prière du jour de vendredi, et non pour toutes les prières : (يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا إِذَا نُودِيَ لِلصَّلَاةِ مِن يَوْمِ الْجُمُعَةِ فَاسْعَوْا إِلَىٰ ذِكْرِ اللَّهِ وَذَرُوا الْبَيْعَ ۚ ذَٰلِكُمْ خَيْرٌ لَّكُمْ إِن كُنتُمْ تَعْلَمُونَ). Ce qu’a fait votre collègue relève de l’infraction professionnelle et de l’atteinte aux droits des citoyens, les clients de la STEG. En fait, plutôt que de compter pour un bien, ce qu’il a fait (et qu’il fait peut-être souvent) lui serait compté pour un mal, puisque Dieu et son prophète ont appelé au travail avant toute chose et au bon comportement avec autrui aussi. C’est de l’ordre d’Il-Ihsân, le pilier principal de l’Islam après la chahada ! »
La réponse d’un agent n’a pas tardé à venir : « Dites-lui, vous-même ! ». Pendant cela, l’agent attendu descendait les escaliers conduisant à l’étage supérieur, ayant certainement déjà capté une part de la conversation parce qu’il s’est mis aussitôt à régler ma facture avec une mine manifestement fâchée. Entre temps, le second client est revenu bredouille de la mosquée. Je ne sais ce qui s’est passé après mon départ.
En racontant l’incident à des amis, une ancienne directrice d’école primaire a évoqué l’attitude de certaines institutrices qui laissaient les enfants de leurs classes les attendre devant la salle pour aller prier, le temps qu’il leur fallait, et revenir ensuite compléter leur horaire dans l’enseignement, la tâche pour laquelle elles étaient payées et qui, en plus d’être une obligation professionnelle, constitue normalement l’essence même de leur éthique et de leur conscience citoyenne. Sans doute s’agit-il de ces femmes dont parlait A. Mourou à Wajdi Ghnim et qui devaient préparer nos enfants à intégrer l’islamisme, ce même Mourou qui revient aujourd’hui à sa vraie passion, la politique, pour constituer une doublure d’En-Nahdha, en perte de crédibilité. Le temps de la revanche à prendre sur son éternel rival, Rached Ghannouchi, un frère ennemi !
Cette attitude de prétexter la prière pour abandonner l’obligation professionnelle est contraire aux règles du fonctionnement administratif, aux bonnes manières citoyennes et à la morale civile au moins, mais la morale religieuse aussi. Depuis 2011, certains fonctionnaires des administrations publiques ont pris l’habitude, sans nulle sanction conséquente, de déserter leur lieu de travail le vendredi à partir de dix heures du matin, généralement pour ne plus revenir, s’en justifiant par le devoir de la prière du vendredi, à tel point que certains non-pratiquants s’y sont mis également. Ce n’est peut-être pas le lieu ici d’approfondir l’explication pour en montrer le caractère abusif et injustifiable, dans une république qui se respecte et dont l’Islam n’en est pas moins la religion de l’écrasante majorité de la population. Toujours est-il qu’il y a nécessité de tirer au clair ce genre de situation dans notre société, en respectant les intérêts partagés.
Il importe donc de donner à César ce qui est à César, de respecter la foi des gens et de respecter autant les droits des citoyens et du fonctionnement des structures étatiques. Dans ce cadre, il y a des règles fonctionnelles à respecter, comme par exemple l’autorisation temporaire d’absence avec obligation, pour l’administration, d’y suppléer. L’essentiel est de ne pas laisser celle-ci à la merci des humeurs et des improvisations de ses agents, donc d’appliquer toutes les règles à tous les citoyens et d’assumer pleinement cette responsabilité, en attendant que, la culture et l’éducation aidant, le sens de la responsabilité soit inamovible et inaltérable dans la conscience citoyenne.