Quitte à mécontenter plus d’un, j’avoue avoir eu de l’intérêt pour le premier épisode du feuilleton « Falloujah » à sa diffusion sur El Hiwar Ettounsi, un intérêt tout juste curieux de par mon lien à l’enseignement et à l’éducation et de par l’importance que je reconnais à ce secteur dans l’édification d’une société. J’allais souligner cela dans ma chronique, le plus naturellement du monde, quand très vite se sont multipliées les attitudes les plus contradictoires. J’ai donc pris un peu de temps pour approfondir peut-être mon raisonnement des effets et des causes.
Je ne suis pas très étonné de l’attitude précipitée de certains avocats, pour des raisons qu’il importe sans doute de discuter dans la foulée d’une certaine mainmise de la profession sur la scène politique ces dernières années. Je m’interrogerais cependant sur la déclaration non moins précipitée, me semble-t-il, du ministre de tutelle ; mais j’attendrai la position officielle puisque, dit-il, une concertation à ce propos devrait se tenir au niveau gouvernemental, voire au niveau présidentiel.
Plus rationnelle me paraît l’attitude de Hichem Snoussi, membre de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), qui, contrairement à d’autres collègues du secteur et dans le juste esprit de l’instance qu’il représente, a déclaré que « Fallujah […] n’est pas le premier à avoir suscité la controverse et que l’Instance a déjà pris des mesures dans de tels cas en différant notamment la diffusion de certains épisodes loin des heures de grande écoute », avant d’ajouter qu’il « n’est pas possible de juger une œuvre de fiction à son premier épisode », soulignant par ailleurs que « la censure n’est pas à prendre à la légère et qu’il est important de laisser les artistes s’exprimer avant de critiquer leur travail ».
Des intellectuels, et non des moindres, se sont prononcés également à ce propos. Le premier qui m’a interpellé est Samir Marzouki qui a écrit sur sa page un statut commenté par plusieurs de ses collègues : « Voici mon avis définitif : je suis opposé à toute censure. Si un feuilleton ne vous plaît pas, vous avez une télécommande qui vous permet de changer de chaîne. Quand deviendrons-nous adultes et accepterons-nous le fait que nous sommes différents et que le fait que nous soyons différents n’a strictement rien d’anormal ? » C’est un propos qui nous rappelle la fameuse réponse de feu Abdelaziz El Aroui à un des auditeurs dénigrant son style sur la Radio tunisienne : « Quel mal ? Il n’y a entre nous qu’un bouton que vous pouvez tourner pour changer de chaîne ou pour fermer la radio ». Que dire donc à propos de Falloujah, dans le pluralisme médiatique actuel et dans une Tunisie où tout le monde use et abuse de la liberté d’expression, vantée fort justement comme l’unique acquis du 14 janvier 2011. L’universitaire et écrivain Ahmed Mahfoudh a appuyé cet avis en l’annotant ainsi : « La levée des boucliers contre Fallouja est injustifiable. Après tout, c’est une fiction, un point de vue qui, en plus, n’est pas loin de la réalité. Plus scandaleux que le feuilleton, c’est la réaction des facebookers qui relève de la chasse aux sorcières. Le Tunisien est devenu un virulent extrémiste ».
Pour ma part, je rappellerais que lors d’une récente journée d’étude à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sousse sur « Aujourd’hui l’école », les professionnels du métier ont mis en exergue plusieurs défaillances graves du système et ont étendu la responsabilité au-delà de la fonction pour impliquer la famille et la société. D’aucuns ont crié à la catastrophe imminente. Pourtant, l’intérêt pour le secteur reste largement marginalisé et ce n’est pas l’emportement contre le feuilleton Falloujah qui le remettrait sur les rails.
Au contraire, dirais-je, une telle audace pour s’attaquer de front aux vrais problèmes responsabiliserait tout le monde, tous ceux qui crient contre le feuilleton et n’en ratent aucun épisode ! Imaginez une famille en train de discuter, sereinement, franchement, d’un tel produit artistique pour y distinguer la part créative et la part éducative. Pourquoi préférer l’incommunicabilité avec le discours de dévoilement de nos torts et de nos tares ? Parlons-en, avec nos enfants surtout, une lumière en sortirait. Mais laissons les artistes s’exprimer et développer leur créativité. Pour ce faire, les politiques purs et durs, comme d’ailleurs certains moralisateurs à la Tartuffe, rendraient service à leur société en relativisant leurs pensées et leurs sentiments à l’égard de leurs semblables, pour regarder en face la réalité de leur pays et chercher à participer positivement à son développement tous secteurs confondus.