Encore un report dans l’affaire de Chokri Belaïd. Cette fois, notre justice « indépendante » a effectué un saut semestriel puisque le procès est renvoyé à la fin novembre 2020. Un tel saut en lenteur entame sans doute une série de records dans la marche de notre justice « indépendante ». Celle-ci semble, à propos de certaines affaires délicates comme les assassinats politiques de Belaïd et Brahmi, choisir l’option « futuriste ». Cela fait sept ans que les reports se succèdent dans ces procès. Et le renvoi est justifié à chaque fois différemment.
Notre justice « indépendante » est de ce point de vue une justice d’avenir : elle conjugue au futur dès qu’il s’agit d’un passé pour le moins troublant. C’est que des procès comme ceux de Belaïd, Brahmi ou Nagdh engagent l’avenir de cette justice « indépendante » et conséquemment celui des droits de l’homme en Tunisie. N’ayons pas peur des mots et disons que l’avenir de la Tunisie « révolutionnaire » est lui aussi en jeu.
On ne peut pas prétendre être « révolutionnaire » et laisser traîner presque délibérément des dossiers d’une telle gravité. Mais à dire la vérité, dans ces affaires, les renvois à répétition valent finalement mieux que des verdicts iniques et définitifs. Le « futurisme » de notre justice « indépendante » laisse ouvertes quelques portes par lesquelles une lueur de « justice juste » pourrait entrer dans nos « Palais » de justice.
On dirait, en essayant de comprendre les atermoiements de nos tribunaux dans ce genre d’affaires, que les juges obstinément « reporteurs » se déclarent provisoirement incompétents pour prononcer leurs jugements dans des délais raisonnables, mais savent que dans d’autres contextes, c’est-à-dire si les rapports de force actuels changeaient en faveur d’une réelle indépendance de la justice, ils cesseraient leur manie procrastinatrice et, la conscience tranquille et dégagée de toute pression politique, prononceraient le verdict final et équitable.
Il y a seulement quelques heures, Anas el Hammadi, Président de l’Association des Magistrats Tunisiens, laissait entendre dans sa déclaration à une radio tunisienne que sous nos cieux la justice subit des pressions politiques. Il a également parlé des meilleures conditions pour réussir la réforme du système judiciaire en Tunisie. Sans dire ouvertement que notre justice n’est pas indépendante, Anas el Hammadi l’a en quelque sorte insinué.
Mais alors, quel avenir envisager dans un pays où la justice est dépendante du bon vouloir, des humeurs, des caprices de tel ou tel dirigeant ou de telle ou telle personnalité influente ? Depuis longtemps, les hommes politiques ont compris que mettre la main sur le pouvoir judiciaire c’est détenir une bonne moitié (sinon plus) des rênes de l’Etat. En ce moment, ces rênes sont entre les mains de ceux qui n’ont pas intérêt à mettre au clair une fois pour toutes les affaires des assassinats politiques.
En ce moment ! Pour le moment seulement ! Quant à l’avenir, il peut réserver de bonnes nouvelles et de bonnes surprises dans ces affaires, comme il peut, hélas, les condamner aux atermoiements à perpétuité, et condamner avec elles la justice tunisienne à la dépendance à perpétuité. Aux Tunisiens de bonne volonté de choisir !