Tout porte à croire que le nom du premier ministre de Kaïs Saïed sera dévoilé ce lundi 2 ou ce mardi 3 août 2021, l’un ou l’autre jour sonnant comme une commémoration de l’anniversaire de Bourguiba (un jour de fête ou de mémoire est célébré à sa veille ou à sa date). Pur hasard de la fin des travaux préparatoires ou choix délibéré de dilatation de ces travaux jusqu’à la coïncidence de leur clôture avec ce souvenir pour souligner une symbolique dont il importerait de fouiller le sens et les effets.
Kaïs Saïed a réalisé son coup d’éclat, que d’aucuns s’obstinent désespérément à considérer comme un coup d’Etat, le 25 juillet 2021, date du 64ème anniversaire de la République tunisienne dont le premier président, portant le signe de sa fondation, est Habib Bourguiba, officiellement né le 3 août 1903. Or les décisions du 25 juillet dernier et la désignation en découlant d’un premier ministre ayant à charge d’assister le Président dans ses pouvoirs exécutifs sont les deux repères essentiels de cette nouvelle étape de l’histoire nationale qui semble esquisser les grands traits d’une Troisième République.
Ainsi perçues, les deux coïncidences ne seraient pas à prendre comme un culte posthume rendu au « Combattant suprême », mais comme deux symboles analogiques de deux naissances étroitement liées, celle d’un président et d’une république. En effet, ces deux dates ont tout pour consacrer dans les faits les pouvoirs du Président de la République Kaïs Saïed et de la gestation d’une nouvelle vision de la république, davantage en parenté avec celle due à Bourguiba comme une icône, hors son handicap se rapportant à certaines libertés, qu’avec celle conduite de mains de bleus par le système ayant prévalu de 2011 à 2021, où la liberté brandie à tout bout de champ a fini comme un synonyme du réflexe des moutons de Panurge ou des maîtres serviteurs.
Le message serait on ne peut plus clair. À ceux qui, comme Moncef Marzouki et consorts, sans doute les islamistes aussi à leur manière, se sont érigés en vrais et seuls fondateurs de la République, idéologiquement ou cultuellement sectaire, K. Saïed semble leur dire qu’ils sont loin de leur prétention et peut-être également du cours de l’Histoire. Mais aussi à ceux qui se prétendent les seuls porteurs du projet de Bourguiba et de ses valeurs civilisationnelles, K. Saïed semble répliquer qu’ils se leurrent sur l’historicité du bourguibisme tellement ils restent prisonniers de son passéisme, le ramenant ainsi malgré lui sur le terrain de tous les intégrismes et de l’idéologie réactionnaire.
Kaïs Saïed semble vouloir faire d’un segment temporel de la Tunisie contemporaine, celui du 25 juillet au 3 août 2021, une démonstration éloquente du dicton « Regarder le passé pour éclairer l’avenir », avec pour une première et essentielle déduction : s’en inspirer, mais savoir assez s’en détacher pour pouvoir innover. C’est qu’un enfant n’est jamais le sosie de l’un de ses deux géniteurs ; il les a en lui, de par ce qu’il en hérite, mais il est lui-même, autre et différent, libre d’être et responsable de son étant.
Cela est vrai pour l’individu autant que pour une société ; cela est vrai pour Kaïs Saïed autant que pour la Tunisie… en rapport à la mémoire de Bourguiba et de ce qu’elle représente pour l’individu et pour la société.