Avant même de devenir président de la République, Kaïs Saïed était bien circonscrit dans son modèle typique caractérisé par une certaine rigueur et par beaucoup de fermeté, allant même jusqu’à lui amené des comparaisons avec le robot. Une fois président, en 2019, à la surprise des classiques des élections, tout le monde se demandait comment ce modèle rigide et droit allait s’adapter avec un univers politique, généralement et surtout depuis 2011, largement commandé par la rhétorique de séduction, les manières de manipulation et surtout un machiavélisme dans le sang allant jusqu’à nourrir les pires corruptions. Mais on n’en craignait pas grand-chose, la constitution de 2014, fabriquée sur mesure, passait pour un garde-fou infranchissable.
Le 25 juillet 2021, c’est toujours le même Kaïs Saïed qui s’imposa à l’intelligence générale comme un expert du franchissement des garde-fous les plus durs et supposés les plus sûrs, pour forcer la main à une classe politique défaillante et inconsciente, jusqu’au crime contre la communauté, et pour ouvrir devant le désespoir généralisé dans les couches populaires les grandes portes de l’espoir. Tout a eu l’ai parfaitement préparé dans une extraordinaire harmonie avec la force populaire, la force militaire et sécuritaire et la condescendance étrangère même si parfois teintée d’un minimum de complaisance ou de compassion à l’égard d’anciens alliés devenus fous à lier.
Ce jeudi 19 août 2021, 25 jours depuis l’état d’exception décidé en vertu (d’une interprétation) de l’article 80 de la même constitution de 2014, et à moins d’une semaine de l’arrivée à échéance de la première période de l’état d’exception, Kaïs Saïed reçoit le ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi, et la chargée de la gestion du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Appui à l’Investissement, Sihem Boughdiri Nemsia, dans un geste symbolique associant les questions économiques à leurs retombées sociales, et réitère de la façon la plus tranchée, sa décision ferme de poursuivre, en toute rigueur et dans la légalité, le tissu social tunisien de toutes les tumeurs l’ayant affecté et risquant de tuer en lui les cellules de l’immunité à la corruption et celles de l’adhésion au bonheur de vivre. Il était catégorique : point de retour au modèles ayant fait la preuve de leur inefficacité et de leur propension à favoriser le lobbying et la corruption au détriment d’une population paupérisée jusqu’à la lie et avilie jusqu’au dégoût.
Cette politique, peut-être en construction à la navigation à vue, ce qui est très peu probable, en tout cas en application progressive, dans une rationalité spécifique, s’est donné un modèle médiatique approprié, rompant avec les interviews, les plateaux et les conférences de presse, pour donner à voir le président en train de parler aux citoyens via son entretien avec les responsables, comme pour prendre à témoins et impliquer en même temps les uns et les autres dans sa perception des choses du présent et de l’avenir, à partir d’un constat attesté concernant le passé proche et ses déboires.
Pour tout dire, la Tunisie est à virage essentiel de son histoire et à une commande déterminante de sn destin. Ce moment, s’avérant inéluctable et capital, n’a pas encore fourni toutes les preuves de son génie, mais n’a pas encore fait preuve d’indigence. C’est aux Tunisiens qui ont applaudi le 25 juillet de fédérer leurs efforts pour le réussir. Les mécontents feront peut-être alors contre mauvaise fortune bon cœur et adhèreront au projet d’une nouvelle Tunisie renaissant du plus profond de ses racines et de ses ambitions les plus sublimes, une Tunisie saine et propre. Capable aussi de faire valoir son modèle approprié de la démocratie ! Manqueront quand même à l’appel, sans doute, ceux atteints irrémédiablement par le cancer de la corruption et de l’antipatriotisme.