Il n’est pas question ici de faire le reportage du déroulement d’un important colloque qui a été jugé riche d’idées, de questions et de pistes de réflexions, et qui a pour titre « Patrimoine naturel et patrimoine culturel : sauvegarde et valorisation ». Tout au plus, précise-t-on que la publication de ses Actes est promise par les organisateurs, pour le second semestre de 2024, avant la troisième édition de ce Colloque International de la Cireb à Paris, en mai 2024 (les Actes de la première édition de ce colloque annuel étant sous presse au moment du déroulement de la seconde édition).
Ce qui m’importe ici c’est d’inviter à toujours se poser la question de notre relation au patrimoine, dans la conscience d’une considération d’ensemble qui se résumerait à l’aphorisme suivant, qui paraîtrait antiphrastique pour certains : « Le patrimoine, c’est la vie » !
En effet, alors que la tentation est souvent d’associer le patrimoine au passé, à la mort, à un simple décor, voire à un déchet inutile et encombrant, il serait bon de le repenser plutôt en termes d’engrais et de terre arable capable de nourrir et de faire s’épanouir les plus belles fleurs de l’avenir. Cela me paraît vrai tout autant du patrimoine culturel que du patrimoine naturel.
Concernant le premier, on y verrait toujours se vérifier le célèbre dicton : « Regarder le passé pour éclairer l’avenir », en constatant, à l’étude et à l’analyse, que tout produit artistique ou littéraire, tout produit culturel au sens large se conçoit et se réalise à partir d’un modèle ou d’un contremodèle antérieur. Pensons à ce que la poétique moderne entend par l’hypotexte et l’hypertexte, pensons plus simplement à tous ces romans qui naissent de petites histoires mythiques ou légendaires ! « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », nous dit la célèbre loi de conservation de la matière énoncée, à la fin du XVIIIe siècle, par le mathématicien et chimiste français Antoine de Lavoisier, considéré comme le Père de la chimie moderne. Mais en évoquant cette loi, rappelons-nous que son auteur s’est sans doute inspiré de celui qui est considéré comme « le plus grand penseur des présocratiques du milieu du Ve siècle avant J.C, celui qui soutenait que « rien ne saurait naître du néant, ni non plus y retourner », car pour lui, « à l’intérieur de ce monde, tout se combine et se transforme ».
Or voilà que cet exemple qui justifie notre approche de la sauvegarde et de la valorisation du patrimoine culturel, à la frontière des sciences et de la philosophie, nous place devant une contradiction troublante, déroutante même ! Si rien ne se crée et que tout se transforme, comment craindre alors la perte ou la mort du patrimoine naturel, puisque tout en lui finit par se transformer et perdurer autrement. Le piège y est certes, mais il conviendrait de le prévenir et de savoir l’éluder. Autrement dit, la loi de conservation de la matière ne remet en cause ni la vie ni la mort et toute transformation est une mort pour une nouvelle vie. Mais ce qui est bon pour l’humanité, comme l’air pur et oxygéné qui se respire et la fleur qui embellit et parfume, quand il est pollué ou écrasé, la transformation n’en fait pas forcément une autre beauté bonne pour la santé, mais un déchet polluant et parfois néfaste. Tel est le corps physique quand il perd la vie…
Dans la logique scientifique, on dit que l’univers est infini et illimité dans son mouvement d’expansion ; mais on dit aussi que la terre est éphémère et que sa vie est limitée dans le temps, par la façon dont la vie s’y vit et dont la matière est gérée. C’est une apparente contradiction qu’on ne cessera pas de penser et de repenser, en rapport ou en déliaison avec toute croyance spirituelle. Cela est l’objet de la philosophie au sens large, mais cela n’est séparé ni de la culture ni de l’environnement comme patrimoines culturel et naturel.