Aujourd’hui, une belle rencontre se tiendra à l’Union des Ecrivains Tunisiens autour de notre ami et confrère Badreddine Ben Henda. En voici le texte d’invitation, suivi par une chronique, bien à propos, de l’auteur:
MON “CHEZ MOI” OU L’ECRITURE COMME UNIQUE ET DERNIERE DEMEURE !
Si je dis “chez moi”, je désigne mon lieu d’habitation, ma maison, ou aussi ma ville natale, mon pays d’origine, mon bled comme on dit.
Mais l’expression “chez moi” signifie également :”dans ma manière de penser, de voir les choses, dans ma conception du monde “, ou encore “dans mon œuvre” (laquelle justement résume la vision, les pensées de quelqu’un).
De ces deux acceptions, je préfère de loin la deuxième, c’est-à-dire ce “chez moi” qui se construit sur toute une existence, qui évolue en fonction de ma propre évolution, en fonction des diverses influences que je subis dans différentes étapes de ma vie. C’est ce “chez moi” qui met très longtemps à achever chaque partie de sa construction, qui peut même rester inachevé après ma mort. Un “chez moi” qui n’est définitif que “chez” les imbéciles et les têtus ou les prétentieux.
Je préfère donc ce “chez moi” qui n’est jamais parfaitement confortable, mais que j’essaye tout de même de meubler (parfois aussi de démeubler) petit à petit, sur une, deux, trois ou même sept et huit décennies. Un “chez moi” habitable, viable, dans lequel je peux “recevoir” d’autres gens dont le “chez soi” ressemble au mien, se rapproche du mien. Un “chez moi” jamais tout à fait étanche, et dont les portes ou fenêtres (quand elles existent) ne sont jamais fermées.
Il peut s’agir d’un “chez quelqu’un d’autre” que j’ai squatté ou dont j’ai imité l’architecture et la décoration : j’ai personnellement admiré beaucoup de personnes dans leur façon d’être respective. Alors, dans la construction de mon “chez moi”, j’ai copié certaines bonnes choses dans leur “chez eux”. Parce qu’en fait, mon “chez moi” est le produit de plusieurs “chez moi” d’autrui. Personne ne construit seul son “chez lui” ; un “chez soi” est la somme de divers emprunts : on emprunte au père, à la mère, au frère, à la grande sœur, au professeur, aux amis, camarades, collègues, voisins; on emprunte même aux rivaux et aux pires ennemis s’il le faut.
Mon “chez moi” favori n’est hélas pas la maison où j’habite en ce moment : mon chez moi, ce sont toutes les maisons où j’ai habité et qui m’ont laissé d’impérissables souvenirs. Mon chez moi est une vaste carte des lieux que j’ai traversés et des itinéraires que j’ai parcourus. A 66 ans, je ne me suis toujours pas sédentarisé, et j’ai encore –j’espère- d’autres contrées individuelles ou collectives à habiter, à traverser, à aimer, ou à fuir !
Il y aura sans doute un “chez moi” qui portera mon nom (ma tombe, assurément); mais ce “chez moi” sera comme mon nom justement : un “chez moi” où cohabitent les noms de tous “les miens”, et ceux de tous les “miens” de mon père, de ma mère, de mes grands-pères et grands-mères, de mes plus vieux ancêtres. Mon chez moi, c’est comme ma carte d’identité porteuse de plusieurs autres identités que la mienne. C’est cet ADN distinctif de ma personne certes, mais qui réunit plus qu’une lignée de personnes distinctes.
Je n’ai pas de maison à moi, inscrite en mon nom propre dans “un titre bleu” de propriété immobilière personnelle. Et c’est mieux ainsi ! Pour l’instant, j’habite dans le “chez moi” de quelqu’un d’autre ! Je ne m’en plains pas! Je me dis souvent (peut-être pour me consoler de n’avoir pas de maison à moi) qu’il faut bien habiter quelque part. Cela ne m’a jamais tenté d’avoir mon nom sur la façade d’une construction quelconque.
Il me plaît cependant de voir mon nom sur la couverture d’un livre. J’ai longtemps rêvé d’écrire des livres; aujourd’hui, c’est fait ! Je voudrais en écrire encore et encore ! Je voudrais mourir comme Gustave Flaubert, en train d’écrire ! Parce qu’écrire, au bout du compte, c’est construire son unique et sa dernière demeure : c’est avoir un “chez soi”, un “domicile”, un “toit” même précaires, même provisoires pour ne pas vivre et mourir en SDF.