Monsieur le Président / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être / Si vous avez le temps…
Ces quatre vers sont les premiers d’un poème célèbre de Boris Vian dans lequel il condamne la guerre et appelle à la paix et à l’humanisme. De grands artistes français ont chanté ce texte et lui ont donné une place privilégiée dans les cœurs des gens.
Je ne suis pas un habitué des lettres ouvertes à un président de la République. Si mes souvenirs sont bons, celle écrite sous le label de ce poème était une parodie adressée au président provisoire, Moncef Marzouki, toute chargée d’une ironie critique. La différence énorme entre « nos deux présidents » donnera à cette lettre un ton autrement grave, plus respectueux et, j’espère, un tant soit peu constructif.
L’Histoire, jusqu’à ses petits événements, vous met de nouveau devant une décision capitale pour l’avenir de notre pays, celle de choisir, pour la seconde fois en moins d’un an, un président de gouvernement supposé, de par la constitution et le langage courant, « le plus compétent ». Votre premier choix, vous avez eu à vous en rendre compte, les Tunisiens aussi, n’était pas le meilleur, loin s’en faut ! Pourtant des indications évidentes auraient pu vous éviter cette option désormais comptabilisée à votre passif, mais considérée par les honnêtes gens comme une méprise de bonne foi à ces débuts qui sont toujours les plus difficiles à gérer. Cette fois, le peuple qui vous a comblé de sa confiance et de son soutien risque d’être moins tolérant avec une erreur du même genre. Votre tâche aura ainsi à la fois valeur d’épreuve décisive et de pari déterminant, pour votre carrière, encore largement ouverte sur l’avenir, et pour le pays, toujours infirme dans tous les rets qui l’immobilisent.
J’entends et lis plusieurs propositions qui cherchent à vous pousser vers un autre choix de provocation, comme celui de nommer un président de gouvernement peu compétent et peu crédible, si bien que l’ARP ne votera pas en sa faveur, vous fournissant ainsi l’occasion de dissoudre le parlement et d’appeler à des élections anticipées. Cette voix me paraît aventureuse et risquée, car si l’ARP vote pour lui afin de contrer cette stratégie, le pays en pâtira davantage et vous en assumerez alors directement la responsabilité. Au fait n’avait-on pas voté pour Fakhfakh selon la même logique ?
Si vous permettez, Monsieur le Président, en ce moment de grandes tensions politiques faisant obstruction à toute reprise réelle de la dynamique économique et de ses conséquences heureuses, ou moins malheureuses, sur le climat et les conditions sociales, il vous revient, de par votre légitimité supérieure et distinguée, d’essayer de convaincre la majeure partie des structures politiques et syndicales de l’urgence d’un gouvernement de technocrates avec un programme d’action d’au moins deux ans, discuté, adopté et soutenu le long de cette période par une majorité indéfectible à l’ARP. A la limite, on peut penser à trois ou quatre portefeuilles attribués à des compétences politiques, mais sous tutelle ou droit de regard du président de la République. Dans tous les cas, certains ministères qui ont trait à la nature même de la société tunisienne doivent rester indépendants des tiraillements partisans ; il s’agirait surtout des Affaires étrangères, de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice, de l’Education et l’Enseignement, de la Culture, de l’Enfance et de la Famille.
Je sais que cette option sera difficile à faire passer mais, croyez-moi Monsieur le Président, elle me paraît la seule à pouvoir nous donner une petite bouffée d’air pur et un nouveau regard constructif du côté de l’action de développement et de l’amélioration du bien-être de nos concitoyens, toutes catégories confondues. Et j’ai la ferme conviction que votre fond éthique et intellectuel et votre fonds politique et populaire vous permettront de prendre ce défi à deux mains et de le relever avec succès.
Ainsi seulement le peuple se ressoudera autour de la Patrie, que vous représentez au plus haut de l’échelle des représentativités, et, peut-être, avec un regain de sagesse, les formations politiques aussi.
Chronique : Un week-end de République pour le Phénix de Tunisie
Par Mansour M’henni
Certaines personnes font de la politique comme ils font des affaires, selon la même logique, avec le même esprit et… avec la même éthique. Après tout c’est leur droit de faire ce choix, à condition d’en assumer les conséquences lorsque les gouvernés, reprenant conscience, ou lorsque la machine du pouvoir, se sentant gangrénée, se mettent à se défendre chacun à sa manière et selon ses moyens.
Malheureusement, l’histoire de la Tunisie est en passe de prouver, de façon on ne peut plus convaincante, que Bourguiba mis à part et sans doute quelques autres rares cas surtout parmi son entourage, la plupart de nos politiques confondent fâcheusement la logique des affaires et la logique de la politique. La situation actuelle de notre pays semble conduire l’argumentation au plus haut degré de son effet. La conséquence logique de ce constat est sans doute l’état d’exaspération explosive qui pèse sur les têtes des citoyens jusqu’à l’asphyxie et qui les lie à la moindre lueur d’espoir qu’ils percevraient ou imagineraient à l’horizon. Celle-ci se concrétise de plus en plus en la personne du président de la République Kaïs Saïed dans lequel les Tunisiens, et pas seulement ses électeurs, voudraient voir moins un Omar Ibn Al Khattab, plutôt mythique, qu’un Bourguiba aussi sincère, aussi patriote et aussi honnête que le premier, mais moins narcissique et plus démocrate.
Il faut reconnaître que plusieurs points sont communs aux deux hommes politiques : tous deux issus du commun du peuple, ayant emprunté le seul ascenseur vraiment social, l’école, spécialistes de droit même de filières différentes mais complémentaires, n’étant pas affamés du pouvoir lucratif mais du pouvoir constructif, n’ayant pas la voie libre pour exécuter à volonté les projets de leur rêve…
Cependant, en relation d’ailleurs avec cette liberté de manœuvre, les points de divergence dépasseraient le cadre personnel de chacun des deux chefs pour se confondre avec le contexte de leur exercice du pouvoir. Le contexte dans lequel Bourguiba avait pris le pouvoir après l’indépendance était tendu, jusqu’à la violence meurtrière ; mais le Leader avait un capital de base, son histoire dans le mouvement national et la pertinence de ses idées, toujours validées par les événements. Aujourd’hui K. Saïed entre en guerre contre la corruption, la démagogie, les lobbies, les coups bas, les magouilles avec les forces étrangères, etc. Ce sera donc son principal défi – un défi capital car loin d’être facile – d’engager un vrai redémarrage de la Tunisie sur des bases éthiques inaliénables présidant à une politique efficiente et à une dynamique de développement salutaire. Il commence déjà à en donner le signe !
On se doute bien que de nombreuses forces chercheront à lui mettre les bâtons dans les roues. Mais elles feront inévitablement long feu face à une mobilisation du peuple – cette fois, ce sera vraiment le peuple et non seulement le mot qui le désigne et la manipulation qu’il sert –, face à l’engagement de la société civile la plus étendue, face aux cadres intellectuels, administratifs, politiques et économiques dont l’amour de la patrie ne se mesure jamais à l’aulne des calculs d’épiciers et de l’égocentrisme égoïste qui peut conduire à la politique de la terre brûlée.
Ce week-end de la fête de la République est crucial, tranchant, doublement grave parce que les Tunisiens auront les yeux et les cœurs fixés sur le Palais de Carthage, avec une haute idée de Carthage, celle d’une Grande Tunisie pareille au Phénix, capable de renaître des cendres que ses ennemis, trop naïfs, voudraient croire siennes.
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L’Histoire, jusqu’à ses petits événements, vous met de nouveau devant une décision capitale pour l’avenir de notre pays, celle de choisir, pour la seconde fois en moins d’un an, un président de gouvernement supposé, de par la constitution et le langage courant, « le plus compétent ». Votre premier choix, vous avez eu à vous en rendre compte, les Tunisiens aussi, n’était pas le meilleur, loin s’en faut !
Si vous permettez, Monsieur le Président, en ce moment de grandes tensions politiques faisant obstruction à toute reprise réelle de la dynamique économique et de ses conséquences heureuses, ou moins malheureuses, sur le climat et les conditions sociales, il vous revient, de par votre légitimité supérieure et distinguée, d’essayer de convaincre la majeure partie des structures politiques et syndicales de l’urgence d’un gouvernement de technocrates avec un programme d’action d’au moins deux ans, discuté, adopté et soutenu le long de cette période par une majorité indéfectible à l’ARP.
Dans tous les cas, certains ministères qui ont trait à la nature même de la société tunisienne doivent rester indépendants des tiraillements partisans ; il s’agirait surtout des Affaires étrangères, de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice, de l’Education et l’Enseignement, de la Culture, de l’Enfance et de la Famille. Je sais que cette option sera difficile à faire passer mais, croyez-moi Monsieur le Président, elle me paraît la seule à pouvoir nous donner une petite bouffée d’air pur et un nouveau regard constructif du côté de l’action de développement et de l’amélioration du bien-être de nos concitoyens, toutes catégories confondues. Et j’ai la ferme conviction que votre fond éthique et intellectuel et votre fonds politique et populaire vous permettront de prendre ce défi à deux mains et de le relever avec succès.
Ainsi seulement le peuple se ressoudera autour de la Patrie, que vous représentez au plus haut de l’échelle des représentativités, et, peut-être, avec un regain de sagesse, les formations politiques aussi.
La conséquence logique de ce constat est sans doute l’état d’exaspération explosive qui pèse sur les têtes des citoyens jusqu’à l’asphyxie et qui les lie à la moindre lueur d’espoir qu’ils percevraient ou imagineraient à l’horizon. Celle-ci se concrétise de plus en plus en la personne du président de la République Kaïs Saïed dans lequel les Tunisiens, et pas seulement ses électeurs, voudraient voir moins un Omar Ibn Al Khattab, plutôt mythique, qu’un Bourguiba aussi sincère, aussi patriote et aussi honnête que le premier, mais moins narcissique et plus démocrate.
Aujourd’hui K. Saïed entre en guerre contre la corruption, la démagogie, les lobbies, les coups bas, les magouilles avec les forces étrangères, etc. Ce sera donc son principal défi – un défi capital car loin d’être facile – d’engager un vrai redémarrage de la Tunisie sur des bases éthiques inaliénables présidant à une politique efficiente et à une dynamique de développement salutaire. Il commence déjà à en donner le signe !
On se doute bien que de nombreuses forces chercheront à lui mettre les bâtons dans les roues. Mais elles feront inévitablement long feu face à une mobilisation du peuple – cette fois, ce sera vraiment le peuple et non seulement le mot qui le désigne et la manipulation qu’il sert –, face à l’engagement de la société civile la plus étendue, face aux cadres intellectuels, administratifs, politiques et économiques dont l’amour de la patrie ne se mesure jamais à l’aulne des calculs d’épiciers et de l’égocentrisme égoïste qui peut conduire à la politique de la terre brûlée.
Ce week-end de la fête de la République est crucial, tranchant, doublement grave parce que les Tunisiens auront les yeux et les cœurs fixés sur le Palais de Carthage, avec une haute idée de Carthage, celle d’une Grande Tunisie pareille au Phénix, capable de renaître des cendres que ses ennemis, trop naïfs, voudraient croire siennes.
Une victoire momentanée réside dans la force, une victoire durable réside dans la raison.
Proverbe chinois ; Les proverbes et adages chinois (2015)
Ne crie point victoire avant d’avoir gagné.
Proverbe grec ; Les maximes de la Grèce antique (1855)