Ceux qui me connaissent de près le savent, je passe l’essentiel de mes séjours parisiens entre deux bibliothèques, celle de Georges Pompidou et celle de Sainte-Geneviève. Ainsi, jeudi 5 janvier 2023, en remontant mon chemin du jardin du Luxembourg (Station RER-B) vers le Panthéon (en face de Sainte Geneviève, même si s’en détournant…), j’ai aperçu une foule de blanc vêtue et de nombreuses banderoles et l’idée m’est venue que la fête continue devant l’illustre monument. En arrivant, j’ai compris qu’il s’agissait de la manifestation (d’ailleurs précédemment annoncée) des médecins généralistes, en grève depuis le 26 décembre 2022. Entre autres détails, j’ai été frappé par l’une des banderoles où était écrit le slogan : « Nous vous soignons, soignons-nous » !
Je n’ai pas à commenter le détail de cette action relevant de la citoyenneté franco-française, mais en pensant surtout à mon pays, le slogan m’interpelle de par sa généralisation possible à toutes les catégories professionnelles et à tous les rapports sociaux. Je me suis demandé alors si la Tunisie d’aujourd’hui, présentée par tout le monde comme un pays malade, n’est pas dans l’urgence d’être soignée. Oui évidemment, mais qui se doit de la soigner et comment ?
Pour l’instant, on peut relever, d’un côté, l’engagement du Directeur du Grand Hôpital affirmant et réaffirmant sa détermination à extraire les sources du mal du corps sociétal du pays, en dictant de faire ce qui se doit à une équipe appliquée et disciplinée, avec l’épée de Damoclès au-dessus des têtes pour limoger tout défaillant ou incompétent. Sauf qu’il y a problème puisque la majeure partie de la population malade ne semble pas adhérer au régime des soins. D’où la question : Peut-on soigner un malade contre son gré, ou faut-il négocier cela avec lui pour obtenir son aval, rassurant pour les deux parties, et sa solidarité, incontournable pour la réussite du programme soignant ?
On peut constater, d’un second côté, une colonie de prétendus médecins, dont la majeure partie est jugée faussaire, se prévalant pourtant de détenir la recette miraculeuse de la diète et des soins appropriés pour réhabiliter le patient-pays, trimbalé de certaines mains à d’autres s’étant avérées, toutes ou presque, incompétentes à chaque étape d’évaluation du programme des soins. C’est pourquoi leur entêtement à passer pour les soignants idoines a de quoi révolter parce qu’il laisse croire que, pour ces mains « mitrailleuses », les malades, pays et citoyens, ne sont que les cobayes d’expériences douteuses et les jouets de compétitions ennuyeuses.
Il y a certes un troisième côté à considérer, celui d’un acteur normalement et logiquement premier à l’ordre de la décision, mais à peine troisième dans l’ordre effectif de l’action responsable, c’est le malade qui, très affecté par son sort, n’ose plus se livrer et encore moins s’abandonner aux caprices importuns des piètres apprentis de la médecine politique. Il est profondément convaincu de l’importance et de l’urgence d’une médecine citoyenne, mais il ne fait pas grand-chose pour parvenir à l’instituer et à lui donner le droit de s’exercer. Peut-être parce que, de chacun des autres côtés, on se méfie de cette nouvelle médecine préconisée qui risque de mettre en défaut leurs médecines pseudo-prophétiques ?
Finalement, le mal est là et le bon soin n’y est pas. Sans doute conviendrait-il d’actualiser le slogan « Nous vous soignons, soignons-nous » et de lui donner comme hypothèse de base que tout le monde est malade et que tout le monde est soignant ! A condition aussi de ne pas en faire le pari d’un duel dialectique, à même de se transformer en dispute polémique. A condition de le considérer comme un appel à conversation solidaire pour un objectif convenu et engageant. A condition également de voir tous les acteurs sociétaux y prendre part et s’y appliquer pour en faire tirer le meilleur parti à tout le corps sociétal et à tout le pays.