Quitte à déplaire à notre narcissisme intraitable et à notre égoïsme invétéré, nous les humains dont je ne voudrais ni ne saurais ni ne pourrais m’exclure, j’ose affirmer que je vois de plus en plus un vrai gâchis, dans le fonctionnement de notre société ! Je le dis et le crie par acquis de conscience, comme un signal d’alarme adressé à tous ceux qui, comme je crois être, ont encore une compétence d’écoute et qui sont encore hospitaliers à l’examen de conscience.
Qu’il soit donc précisé d’emblée, il n’y a dans ce propos ni la prétention d’un imam se dotant d’une vérité immuable, ni l’autosuffisance d’un maître se voulant en droit de placer n’importe qui devant lui comme un enfant-entonnoir prêt à tout ingurgiter des directives de son enseignant. Il y a juste l’espoir que d’une invitation à la conversation certaines façons d’être et de faire se mettent à changer au bout d’un examen de conscience autoconversationnel, éthique, modeste et rationnel.
A voir de près et assez profondément analysé le fonction politique dans notre société mais aussi son fonctionnement para-politique (avec les deux sens du préfixe grec para-, signifiant « contre » et « à côté »), on est en droit de comprendre qu’il y a un désintéressement têtu à l’égard de tout ce qui fait la cohésion sociale et à la possible interaction hospitalière dans l’esprit de la relativisation des choses et des vérités. Chacun veut passer pour le porteur du message absolu et de la juste et meilleure gestion des affaires de tous, même sous couvert d’une hypocrite modestie, utilisée plutôt comme un instrument de tromperie et de manipulation. Curieusement, osons l’avouer plutôt que de le penser et le taire, ce sont nos élites qui ont la part belle de cette façon d’être et de faire. Et ce sont nos élites qui sont le plus à critiquer, de ce point de vue, car leur grief est d’avoir conscience de leurs agissements reprochables et d’y perdurer.
Je parle ici des élites culturelles et intellectuelles, académiquement installées dans leur statut de droit, mais peu enclines à se laisser conduire par leur statut de devoir. L’amertume me vient de ces gens censés planter les meilleurs grains sur la voie du bien-être-ensemble et du bien-vivre-ensemble, sans hypocrisie, cependant toujours entretenant des rapports mutuels à couteaux tirés comme animés par un intraitable désir l’éliminer l’autre, « son semble son frère » dirait Baudelaire, comme si une jalousie insurmontable les aliénait à ne se voir être que par l’élimination du semblable. Quel triste sort de cette élite dont chaque membre se met à caresser l’autre dans le sens du poil pour se retourner, au premier détour du sentier, en violentes diatribes et criminelles diffamations ! Quel gâchis de voir ces supposées intelligences supérieures refuser à d’autres leur juste droit de participer à une action ou à une intelligence commune sous prétexte que ces autres en sont indignes ! Qui peut se prétendre d’un droit absolu de bannir et d’exclure ses semblables avant de mieux se regarder dans la glace de la vérité de l’être humain et de se mettre objectivement sur la balance éthique du meilleur humain possible, dans le meilleur des mondes possibles ?
N’allons pas trop dans le détail et disons qu’il y a, me semble-t-il, une urgence d’assainissement de notre état d’esprit et de notre raison pour voir dans nos sembles des partenaires de nos destins individuels inséparables de notre destin collectif. Sur cette base, chacun de nous peut faire état de sa façon de voir pour que tout le monde cogite, converse et agit en interaction positive.