Des signes peu trompeurs semblent indiquer que quelque chose de géostratégique se joue au Maghreb. On était parti vers des prévisions de démantèlement catastrophique de la région, sous l’effet ou la pression d’un Occident aligné sur les USA, peu sensible aux intérêts des pays de la région, aveuglément obsédé par ses intérêts personnels et même par un certain néo-impérialisme se nourrissant des anciens complexes coloniaux. C’était peut-être trop rapidement conclu, surtout dans un contexte international commandé par des conflits et des tiraillements dont il est difficile de prévoir les aboutissements.
Sans remonter très loin dans le passé, même pas au déclenchement des insurrections et des révoltes trop rapidement perçues dans des couleurs de printemps, on peut prendre comme repère symbolique la crise entre le Maroc et la Tunisie, des suites de maladresses et de malentendus attenants au Sahara Occidental, avec en arrière-fond le soupçon d’une influence algérienne. Ainsi, d’aucuns jugeaient inéluctable et irrémédiable l’éclatement du noyau central et historique du Maghreb, principal garant du regroupement géostratégique considéré comme salutaire pour la région.
Or voilà qu’en marge des hauts et des bas de la guerre russo-ukrainienne, des mensonges et des vérités de son cinéma politique, des jeux et des enjeux de ses calculs économiques et géostratégiques, des signes convergents surviennent et amènent une question digne d’intérêt : Poutine serait-il en train d’œuvrer à la renaissance ou à une vraie naissance d’un Maghreb géostratégique assez influent sur la scène internationale ? Sa principale intention serait alors d’en faire un partenaire d’équilibrage des rapports de force dans ce monde qui semble se renouveler dans la structure bipolaire ?
C’est une idée qu’il est peut-être trop tôt d’affirmer catégoriquement, mais les indices précurseurs y sont. La dernière rencontre entre Poutine et A. Tebboune, débouchant sur des accords conclus et une coopération réaffirmée, signent la relance ferme et franche de l’alliance algéro-russe, dans l’esprit d’ailleurs de l’ancienne alliance pro-orientale dans laquelle la Syrie, comme de nouveau aujourd’hui, constitue un acteur principal. D’un autre côté, sans grand tapage ni exhibition outrecuidante, modestie des moyens oblige, la Tunisie semble accompagner le « Grand frère algérien », jugé peut-être, géographiquement au moins, dans une plus importante et plus rentable proximité. Sans doute conviendrait-il d’inscrire le rétablissement des relations tuniso-syriennes dans ce cadre, sur un fond de dépit meurtrier brûlant follement le cœur de Moncef Marzouki.
Mieux encore, en tout cas pour une probable renaissance du Maghreb, trop tôt classé par certains de ses frères « de souche » dans le clan des Américains et des Israéliens, mais en même temps lésé par une attitude provocante de la part de la France supposée être un allié sûr, le Maroc lui-même n’a pas tardé à réaffirmer ses bonnes relations avec la Russie et son intention de les renforcer. D’ailleurs, sur le plan diplomatique, nous croyons savoir que des « conversations » sont en cours pour restaurer les bons rapports de voisinage et de fraternité entre les pays de la région. Dans le même état d’esprit sans doute, abritant les discussions libyennes, le Maroc a vu Hafter lui-même, l’homme fort de la Libye, ou au moins de tout l’Est de la Libye, et l’ami de la Syrie, reconnaître l’issue des tractations au Maroc, en l’occurrence la décision d’élections démocratiques avant la fin de l’année en cours. Aussi a-t-il déclaré « soutenir toute entente susceptible de conduire à la tenue d’élections bien organisées et transparentes, sans oppression, exclusion ou confiscation des droits d’aucune partie ». Il y reconduirait alors sa dernière intention de se présenter comme candidat à la présidence du pays.
Tout cela constitue un présage crédible d’une dynamique russe en faveur d’un assainissement des relations intra-maghrébines en vue d’une meilleure coopération et d’une sereine coordination géostratégique à même de contrer ce qui paraît comme un « hégémonisme impérial et impérialiste » de l’Occident. Partant d’un « révisionnisme historique sur la place de la Russie » dans l’équilibrage des forces internationales, Poutine semble rappeler que l’Occident se sent seul maître à bord, faute d’un contrepoids pouvant le pousser à une politique internationale plus humble et moins égocentrique.
Cependant, il ne faut pas, non plus, vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué car, dans ce genre de choses, une combine de la plus petite dose, ferait l’effet d’une dangereuse virose !