Comme promis et malgré les conditions difficiles et des défaillances de certains appuis financiers promis (et normalement dus, quand il s’agit de subventions publiques aux actions associatives), le colloque « Littérature tunisienne et francophonie : l’être soi et l’être avec », organisé en hommage à Tahar Chériaa pour la dixième année de son décès, a bien eu lieu avec une réussite certaine, à tous points de vue.
La manifestation, clôturée par le président de l’Université de Monastir, Pr. Hédi Bel Haj Salah, a été organisée par un établissement universitaire, l’Institut Supérieur des Langues Appliquées (ISLA) à Moknine, en partenariat avec l’association « Questions et Concepts d’Avenir » (QCA) et en collaboration avec l’Union des Ecrivains Tunisiens (UET), l’Association pour la Culture et les Arts Méditerranéens (ACAM) et l’Association d’Action Culturelle à l’ISLA de Moknine. Un temps spécial a été consacré à l’hommage, à partir d’une brillante communication en langue arabe, présentée par le journaliste, critique et historien culturel, Mohamed El May, et c’est ce moment fort du colloque que nous commentons ici, en attendant la publication des actes du colloque, promise pour le premier semestre 2021.
Mohamed El May a voulu attirer l’attention sur un autre aspect de la personnalité de Tahar Chériaa, un aspect qui n’est pas moins important que celui le plus souvent évoqué, celui de son apport au secteur du cinéma sur les plans national, africain, arabe et international. M. May, en historien de la culture comme son action et ses publications dans le domaine le montrent bien, s’est penché sur une traduction arabe, par Tahar Chériaa, d’une sélection poétique de la poétesse franco-algérienne Anna Gréki, tirée de son recueil Algérie capitale Alger. Tahar Chériaa a intitulé sa traduction Jazaïr… Ya Holwati ! (Jazaïr… Ma Belle !). Il n’a pas cherché à évaluer la littéralité de la traduction, mais à étudier la valeur intellectuelle de ce choix en tant qu’acte d’engagement en faveur de la cause algérienne et de ses militants, même ceux que d’aucuns ont cherché à ignorer ou à exclure de cette cause, pour une appartenance ou pour une autre. C’est comme s’il parlait de son propre statut aujourd’hui. M. May a montré que tout le cheminement de T. Chériaa, en tant que militant par la culture pour la liberté, l’autonomie et le droit, pour soi et pour les autres, peut se retrouver et se résumer dans ce travail. Le débat ayant succédé à cette communication a été enthousiaste et intéressant, surtout pour les jeunes étudiants présents, assoiffés d’en savoir plus sur une personnalité aussi importante que d’aucuns semblent chercher à écarter du paysage actuel.
Il a d’abord été souligné, au passage, que rien, à une telle occasion de commémoration, n’est fait ou dit dans les JCC à propos de leur fondateur et même le rappel des personnalités nationales ayant eu un rapport aux Journées oublie parfois de nommer Tahar Chériaa. Ne parlons pas de sa ville natale, Sayada, à laquelle il a offert sa bibliothèque dans l’esprit d’en faire un projet culturel spécifique ouvert à la créativité de la jeunesse, dans laquelle il a tenu à être enterré, et qui n’a pas daigné accorder un quelconque intérêt à un tel hommage qui aurait pu constituer une occasion heureuse à même de fédérer les différentes générations autour de l’amour de la ville natale et de la patrie, tel qu’exprimé par l’action culturelle. A ce propos, M. May a parlé de Tahar Chériaa comme d’un « pionnier lésé », une expression qui, en arabe semble avoir froissé quelques-uns ! Heureusement, il y a encore des gens et des organisations ou associations qui n’oublient ni n’oublieront T. Chériaa et ses semblables malgré la négligence et l’omission dont ils sont l’objet, à bon ou mauvais escient, par diverses parties concernées.
Puis, pour le propos du jour, la discussion a permis d’actualiser les aspects divers de la personnalité culturelle de Tahar Chériaa, en plus de son apport dans la critique, l’écriture, la conceptualisation et l’action cinématographiques. Il a été précisé que Tahar Chériaa a été le premier à traduire Périple dans les bars de la Méditerranée d’Ali Douagi, même si une présentation récente d’une autre traduction du même livre semblait faire de celle-ci la première en la matière. Tahar Chériaa est aussi un écrivain et le récit dont il a tiré son scénario du film Fatma, l’aurésienne de Dakar, est encore en attente de publication.
Un autre patrimoine de T. Chériaa est à interroger aujourd’hui au nom d’un objectif que le site voixdavenir.com (de QCA) inscrit dans l’esprit du dicton « regarder le passé pour éclairer l’avenir ». Il s’agit des rapports et des notes de Journal qu’il a rédigés, soit pour l’UNESCO ou l’ACCT (aujourd’hui l’OIF), soit pour lui-même ou pour certains journaux. Notamment les dossiers sur l’audiovisuel.
Là, on ne peut qu’adhérer à la proposition de M. May appelant le ministère des Affaires Culturelles à veiller, en association avec toutes les bonnes volontés, à publier les Œuvres Complètes de Tahar Chériaa, au moins pour rattraper le temps perdu et les occasions ratées…