Je prie ceux qui voudront bien me lire d’être indulgents pour ces lettres, si mal coordonnées. Elles ont été écrites fiévreusement, dans l’indignation et la souffrance, et publiées en hâte, pour démasquer, si possible, tant d’hypocrites ignominies, pour essayer de faire entendre un peu de vérité et pour demander un peu de justice.
(P. Loti, Turquie agonisante)
Dans la langue française, le mot « sens » a plusieurs sens et c’est pour cela qu’il est retenu dans le titre de la présente chronique portant sur la situation actuelle de la Tunisie.
En effet, « Sens » peut signifier « la sensation », ainsi définie par le dictionnaire Larousse : « Chacune des fonctions psychophysiologiques par lesquelles un organisme reçoit des informations sur certains éléments du milieu extérieur, de nature physique (vue, audition, sensibilité à la pesanteur, toucher) ou chimique (goût, odorat) ».
Il signifie également « le sentiment », défini comme une « aptitude à connaître, à apprécier quelque chose de façon immédiate et intuitive ».
Il peut signifier aussi « la signification » ou « l’acception », autrement dit « ce que quelque chose signifie, ensemble d’idées que représente un signe, un symbole ».
Il signifie enfin quelque chose de l’ordre de l’argument, qui se définirait comme la « raison d’être, [la] valeur, [la] finalité de quelque chose, ce qui le justifie et l’explique ». Tel est le cas dans l’expression à portée existentielle : « Donner un sens à son existence ».
Aujourd’hui que tout le monde, à l’intérieur comme à l’extérieur, qualifie d’impasse la situation de la Tunisie, tous ces sens sont actualisés pour la signifiance de l’impasse dans ce cas de figure. De fait, il est difficile de nier, sauf par entêtement, que les Tunisiens ont la sensation actuelle d’une certaine asphyxie, leur ôtant le vrai goût de vivre paisiblement dans un pays où il fait bon vivre. Toutefois, pour chercher un responsable de cet état des choses, il ne faudrait pas tomber sur le premier bouc émissaire trouvé en concordance avec le présupposé idéologique présidant à cette recherche. Tout le monde est responsable, et personne n’est prêt à interagir avec autrui pour envisager une issue possible, une issue convenablement partageable. C’est qu’à ce niveau de la considération des choses, le premier sens de « sens » et le second se croisent jusqu’à se confondre et la sensation physique devient l’autre face d’un sentiment affectif traduisant l’état psychique déplorable du citoyen, « lassé de tout même de lassitude ». Ces deux « sens » conjoints ont pour principal une léthargie caractérisée, généralisée aussi, pouvant amener, ou amenant déjà, un blocage de la machine du développement, voire même du rythme d’une vie aussi « normale » que possible.
Ce volet ainsi présenté, on se tournerait vers les deux autres « sens » qui s’associeraient autour de la part intellectuelle du citoyen et de sa responsabilité déterminante dans la conception idoine de la façon d’être et de faire pour le bien-être de tous et le bienfondé du vivre-ensemble. Là, on pointe plus particulièrement les responsables politiques, toutes tendances confondues, et ceux qu’on désigne comme « l’élite cultivée », toutes disciplines associées.
Le constat on ne peut plus objectif est de rejet absolu, concernant « les politiques », souvent trop politiciens pour l’essence même « du politique », jusqu’à la politicaille et « la plus naïve politicaillerie » (Pierre Loti), qui ne peuvent conduire qu’à l’agonie. Quant aux intellectuels, ils sont jugés bien en-deçà de toute attente quant à leur responsabilité dans la démocratisation d’une conscience culturelle de la démocratie, délestée des considérations égotistes, calculatrices ou opportunistes.
Que faire alors devant l’impasse ?
Il est évident que si la responsabilité est partagée, la solution doit être communément conçue et élaborée. Le cadre a toujours été difficile à déterminer, n’empêche que, comme nous l’avions précédemment suggéré et depuis un certain temps déjà, doivent encore être mis à l’épreuve la responsabilité et l’engagement de l’UGTT, pour tout le monde et non pour les syndiqués uniquement. Celle-ci aurait pour rôle essentiel d’initier le cadre idoine d’une vraie conversation plurielle, sereine et détachée de présupposés politicards, y compris pour la centrale syndicale elle-même. Diverses sensibilités sont à associer à cette réflexion et cette discussion en vue d’une issue vraiment démocratique – démocratique et non populiste.
Aucune autre issue n’est à même d’épargner les risques majeurs d’un avenir compromis et d’une instabilité néfaste d’un pays qui a tout pour être bien portant et pour garantir à ses citoyens un bien-être enviable.
Espérons donc dans l’éveil des consciences et dans l’humilité citoyenne pour la convergence des intentions et la conjugaison des efforts !