Ce jour du vendredi 28 janvier 2002 est un peu un jour de l’entre-deux, deux événements apparemment sans lien logique entre eux ! Ce jour est en effet le lendemain d’une festivité farcesque commémorant la constitution de 2014, et la veille d’un match de l’équipe nationale pour les quarts de finale de la coupe d’Afrique des Nations, au Cameroun. Ne serait-il pas intéressant d’interroger la façon et les raisons de vivre cette journée intermédiaire dans le contexte général où semble naviguer notre pays, contre vents et marées ?
Disons-le sans ambages, malgré le tapage ayant entouré le texte du 27 janvier 2014 dont avait accouché une assemblée constituante au statut et au fonctionnement souvent contestés, la deuxième constitution tunisienne laissait planer, dès le départ, des suspicions et des méfiances qui n’ont pas tardé à se concrétiser dans des risques évidents de déstructuration de la notion d’Etat au profit d’une dispersion politique incapable de produire concrètement une gestion cohérente à même d’assurer et de faire perdurer le développement du pays. Tout cela a fini par conduire à la crise généralisée et au démantèlement de tout ce qui restait pour réanimer un nouvel élan vers le redressement et le progrès.
Ce sentiment nous paraissant partagé par la majorité de la communauté citoyenne, le spectacle farcesque d’une commémoration de la constitution qui a été jugée à l’origine des principaux problèmes est on ne peut plus anachronique et peu convaincant. C’est pourquoi, la mobilisation des groupuscules politiques d’une opposition se disant « démocratique » serait plutôt inadéquatement programmée du fait de sa coïncidence avec la commémoration de la constitution de 2014 conduite par Ennahdha (avec le label de la présidence de l’ARP gelée) et suivie par ses subalternes, Kalb Tounès et la Coalition El Karama.
C’est donc avec un arrière-goût de déception, voire de dépit, que s’ouvre le lendemain de cette comédie constitutionaliste, indépendamment de tout jugement de l’état d’exception qui y a mis fin ou presque, pour la satisfaction et l’espoir de la plupart des Tunisiens, mais qui tarde terriblement à engager son projet de renouveau et un vrai plan de rétablissement de l’union nationale autour d’un intérêt entendu pour la Patrie. Au fond, ce qui compte pour la majorité des citoyens, ce n’est pas le petit ghetto de quelques boutiques politiques d’un piètre et miséreux commerce, d’un côté ou de l’autre, mais c’est l’image et la dignité d’une Patrie capable de garantir la qualité de vie pour ses citoyens.
Ainsi, ne trouvant plus dans la politique ni leurs bons sentiments, ni leurs motivations positives, ni encore leurs plaisirs épanouissants, ces citoyens se rabattent sur la petite lueur d’espoir qui les anime en rapport à un succès national footballistique et s’y nourrissent de passion patriotique et de convivialité sociétale contrastant avec les vénéneuses adversités politiques. Ce vendredi d’aujourd’hui donc, les Tunisiens ont déjà oublié le jeudi d’hier, comme on cherche à oublier une indésirable misère. Ils ont plutôt les yeux et les espoirs fixés sur demain, sur ce samedi de la jeunesse tunisienne qui a souvent démenti les pronostics et remporté les matchs les plus difficiles à des moments fatidiques.
Certes, un match de foot reste toujours une rencontre sportive avec ses heurts et ses bonheurs, mais parfois, quelque chose de plus intense, d’existentiel même s’y inscrit vivement et produit son effet insoupçonné, impactant à la fois les sentiments, les comportements et les intelligences des personnes, individuellement ou collectivement. Tel a été le cas pour le match du 23 janvier 2022, quand les joueurs tunisiens lourdement diminués par les conditions générales, sont venus à bout du principal favori de la compétition de la CAN 2021. Ce vendredi 28 janvier, les citoyens tunisiens vont rêver le même esprit et le même courage devant Le Burkina Faso, en se souvenant de la Coupe du Monde de 1978 et de ses héros.
Au fait, comment repenser à cette coupe du monde de 1978 sans repenser l’UGTT du 26 janvier 1978 et son rôle dans les heurts et bonheurs de l’histoire nationale. Est-ce dans cet esprit que se manifeste on ne peut plus clairement la reprise du rapprochement du Président de la République et de la Centrale syndicale ? Ce serait sans doute plus heureux et plus constructif que le théâtre du jeudi, pourvu qu’y règne l’espoir attendu ce samedi, celui de la conscience et de la puissance des moyens citoyens de la Tunisie quand ses enfants se font forts, dans le cœur, de l’amour de la patrie et, dans la tête, du devoir de rehausser son image et d’y conforter le vivre-ensemble.
Bonne chance aux Aigles de Carthage, pour la gaieté, la satisfaction et la renaissance du grand espoir des citoyens tunisiens dans une période de marasme politique, économique et social. Sans doute faudra-t-il prier également que les responsables et les autres acteurs politiques du pays apprennent à se ressourcer dans le réservoir éthique des vrais sportifs de la Tunisie.
(Publié pat le journal Le Temps du 28-01-2022)