Dans son poème « Zadjal de l’avenir », du recueil Le Fou d’Elsa, je veux bien rappeler deux vers qui riment sans se suivre : « L’avenir de l’homme est la femme / […] / Et sans elle il n’est qu’un blasphème ». Ces deux vers inspireront une chanson écrite et interprétée par Jean Ferrat ; j’en citerai les deux dernières strophes en guise de conclusion de cette chronique en hommage à la femme tunisienne, mais surtout à l’acte qui en a rappelé l’image et le statut les plus glorifiants, celui de la nomination par le Président Kaïs Saïed d’une femme à la tête du prochain gouvernement tant attendu.
Najla Bouden, l’universitaire de 63 ans, est peut-être peu connue médiatiquement, surtout par certains politiques plus affairés à manipuler le discours et à dénigrer tout ce qui n’est pas à leur convenance qu’à s’investir humblement dans l’action productive ; mais c’est une femme dont la compétence est attestée, à la fois dans son domaine de spécialité et dans les tâches de gestion qu’elle avait eues à sa charge. On en est convaincu rien qu’à voir le grand flux de témoignages, émanant de ses collègues et attestant de l’intégrité, de la compétence, de la socialité et de l’honnêteté de cette femme qui, en plus, répond objectivement au profil requis pour les exigences de la situation présente et pour les impératifs d’une édification rationnelle et ambitieuse de l’avenir. « Une tête bien faite et une excellente réputation », a-t-on écrit hors de nos frontières.
Quant à ceux qui, pris de court, ne trouvent pas mieux à faire que spéculer sur sa relation au Président et sur sa part d’initiative dans la gestion des affaires gouvernementales, ils feraient mieux de faire preuve de bonne foi et d’esprit de participation à l’élaboration d’une stratégie de convergences des intentions et des actions vers l’intérêt collectif et la réhabilitation de la bonne réputation de la Tunisie.
Mais pour le Président de la République, force est de lui reconnaître l’ingéniosité de son acte, surtout après le scepticisme qu’il a créé en nous à coups d’attente lassante. Je me souviens avoir écrit, ici même, la veille de l’anniversaire de Bourguiba, le 2 août 2021, dans le sens d’un rapprochement de la vision de Bourguiba et celle de K. Saïed : « À ceux qui, comme Moncef Marzouki et consorts, sans doute les islamistes aussi à leur manière, se sont érigés en vrais et seuls fondateurs de la République, idéologiquement ou cultuellement sectaire, K. Saïed semble leur dire qu’ils sont loin de leur prétention et peut-être également du cours de l’Histoire. Mais aussi à ceux qui se prétendent les seuls porteurs du projet de Bourguiba et de ses valeurs civilisationnelles, K. Saïed semble répliquer qu’ils se leurrent sur l’historicité du bourguibisme tellement ils restent prisonniers de son passéisme, le ramenant ainsi malgré lui sur le terrain de tous les intégrismes et de l’idéologie réactionnaire ». Cela me semble se confirmer davantage par cet acte de nomination, pour la première fois dans un pays arabe, d’une cheffe de gouvernement, à la manière dont Bourguiba avait fait de la Tunisie le seul pays arabo-musulman à adopter un code du statut personnel légiférant l’émancipation des femmes et leurs reconnaissant l’essentiel de leurs droits.
Contrairement à la réputation qu’on lui a faite d’islamiste déguisé, K. Saïd donne ainsi un signe de l’inscription de son action, de son projet politique et civilisationnel s’il en est, dans le prolongement de la pensée réformiste tunisienne concrétisée politiquement dans le projet moderniste de Bourguiba : « Partir des acquis du bourguibisme pour aller plus loin dans le sens du développement et du progrès ». Que cela déplaise à certains, pour des raisons historiques et idéologiques bien connues, ce n’est pas important si le défi du Président a cette ambition car le peuple y adhèrera sans doute. L’essentiel pour lui est de rester ferme sur ses principes de base, fidèle à ses promesses d’œuvrer proprement pour le bien-être de tous les citoyens en redressant l’économie pour créer la richesse et améliorer les conditions sociales, de protéger les libertés publiques et individuelles dans le sens d’une généralisation de la culture de la démocratie, de lutter contre la corruption par la seule arme qui vaille la peine, en l’occurrence une vigilance alerte et une justice saine. Autant de concepts à redéfinir peut-être, à préciser au moins, en vue de leur adoption consensuelle comme une plateforme de base de l’action citoyenne.
Si tel est l’objectif essentiel du président, la nomination de Mme Najla Bouden ne sera nullement conditionnée par l’intention d’en faire un pion entre ses mains, mais une collaboratrice de participation et d’exécution dans une équipe de transition délibérément choisie parmi les compétences indépendantes, non encore assujetties aux combines politicardes et aux intérêts des lobbies. La liberté de presse et d’expression étant garantie, cela n’empêchera personne, individuellement ou dans un cadre partisan, de se positionner dans la citoyenneté participative soit par l’opposition et la critique, soit par la proposition publique, laissant à l’équipe de pilotage de faire le tri et de retenir ce qu’elle juge idoine pour la situation et ce dont elle sera redevable devant le Président qui en sera lui-même redevable devant l’ensemble des citoyens. Certes la démarche n’est pas à la juste mesure et au bon gré des partis politiques dans leur conception classique de la démocratie ; mais devant leur échec, ils vont bien devoir s’accommoder d’une démarche différente, corrective, le temps d’un état d’exception, un état de révision et de reconstruction.
A coup sûr, Mme Bouden va devoir et savoir user de cette compétence féminine qui saura sans doute faire la différence, à un moment inaugural et historique de cette haute responsabilité féminine à la tête du gouvernement. Un moment dont attendrait la confirmation que la « femme est l’avenir de l’homme ». A présent, attendons voir pour juger, mais faisons tout pour aider et non pour bloquer. En même temps, en remerciement au Président pour son geste civilisationnel qui fera date, prêtons l’oreille à cette voix de Jean Ferrat qui chante :
Il faudra réapprendre à vivre
Ensemble écrire un nouveau livre
Redécouvrir tous les possibles
Chaque chose enfin partagée
Tout dans le couple va changer
D’une manière irréversible
Le poète a toujours raison
Qui voit plus haut que l’horizon
Et le futur est son royaume
Face aux autres générations
Je déclare avec Aragon
La femme est l’avenir de l’homme
(article publié d’abord sur jawharafm.net)