Il était encore étudiant à Paris, lorsqu’il a commencé à s’intéresser de près à la presse tunisienne qui était alors en pleine expansion. Alerté par les actualités de son pays que l’administration coloniale, en bonne entente avec l’Église, essaie d’absorber et d’évangéliser, Habib Bourguiba met sa plume au service de la lutte contre l’occupant. A 23 ans, il se distingue par la puissance de son Verbe, l’audace et la profondeur de ses analyses.
Après avoir publié dans “l’étendard tunisien” (fondé par Chedly Khairallah) et “La voix du Tunisien”, il crée (1er novembre 1932) “l’Action tunisienne” avec M. Materi et B. Guigua. A la “voix” succède “l’Action” : le message est clair.
Officiellement inscrit au barreau (depuis le 17 nov. 1930), et installé à la rue Bab- Souika, le jeune avocat met en veille son cabinet et se consacre corps et âme au journalisme. Sur les colonnes de “l’Action” dont il était le principal (et parfois le seul) rédacteur et concepteur, il travaille à l’éveil du sentiment nationaliste et à la dénonciation des inégalités socio-politiques.
Très vite, il devient “la bête noire des autorités françaises” (Le Gendre). Deux qualités les font trembler : la capacité du jeune journaliste à porter/écrire la cause du peuple et à rassembler autour de lui un éventail très large de sympathisants et d’alliés : des Tunisiens, progressistes et conservateurs (hostiles à France et à la langue française dont il use) et des Occidentaux, les indignés par les abus de l’administration française et les réfractaires au principe même de la colonisation
Les écrivains-journalistes (F. Challaye, l. P. Margueritte, A. Viollis….) venus (a l’aube des années 30) enquêter sur la situation en Tunisie et le devenir du Protectorat, ont souligné la détermination, le charisme et la grande culture politique de l’avocat-journaliste. Mi-admiratifs, mi- inquiets, ils ont averti le pouvoir central que le personnage est redoutable et qu’il constitue la principale menace pour la France.
Dans un article consacré à sa rencontre avec Bourguiba (à Tunis), A. Viollis exprime son “élan vif” envers cet homme qui “lutte et souffre pour ses idées, les miennes à peu de choses près”.
En quelques années, le jeune journaliste fait de “l’Action”‘ un lieu de combats- débats autour de la politique du parti, ses méthodes, et ses moyens. Bourguiba, tout comme Ben Youssef, ne déroge pas a la règle des grands chefs historiques (Lenine, Nasser, Ataturk…), ils se chargent de haranguer les foules, éclairer, informer l’opinion par la rédaction d’articles, tracts, communiqués… L’organisation des activités, les manifestations de rue, le brandissement des slogans, affiches… sont accomplis par les militants du partis et leurs alliés.
Bourguiba n’a, semble-t-il, participé qu’a une seule manif. en 1934 (pour demander au Résident général l’annulation du tiers colonial). Ce retrait (physique, et symbolique) lui permettait de garder le “prestige” du leader présent-absent ( هيبة, un mot que retiendra BCE) ; le retrait lui permettait surtout de continuer, (même dans les crises les plus aigues), à faire de la politique : composer, fédérer, négocier, convaincre ( adversaires et ennemis) sans perdre de vue l’objectif fixé.
C’est donc dans et par le journal que naît l’homme politique. A force d’écrire, et d’ordonner ses idées, à force d’intreragir avec l’actualité et les lecteurs, le futur “combattant suprême” a eu la possibilité de mûrir son projet et d’affiner ses stratégies ; lui dont l’intelligence, mais aussi le despotisme et l’égocentrisme n’ont pas échappé à ses collaborateurs.
Malgré (ou grâce à) aux sévères critiques dont il était la cible, il a pu s’imposer comme la figure centrale du Neo-Destour et se frayer un chemin entre deux citadelles super-puissantes : l’administration coloniale d’un côté et l’institution religieuse de l’autre, cette même institution qui a tué T. Haddad.
L’avocat-journaliste a retenu la leçon et donné congé à sa plume. Aux modernistes (Med Noomane notamment) qui condamnent son silence lâche, comme ils ont condamné son parti pris en faveur du voile, il répond qu’il s’agit d’un repli ” stratégique”. En promulguant le CSP, 6 mois après l’indépendance (alors qu’il n’était encore que chef de gouvernement), le Zaim, a accompli un “geste”, ( dans la pleine polysémie du mot) å la fois politique et éthique puisqu’il a :
– reconnu et remboursé sa dette à l’égard de Tahar Haddad dont les idées deviennent “acte d’émancipation” (Latifa Lakhdar) ce qui a offert aux Tunisiennes et à la Tunisie une chance sans précédent dans le monde arabo-musulman.
-concrétisé le projet sociétal que le journaliste a posé et en a défini les grands axes (lutte contre la misère sous toutes ses formes, démolition des croyances et systèmes archaïques, instruction du peuple, reconsidération de la place des femmes..).
– donné une leçon en acte sur les concepts qui lui sont chers, le réalisme-pragmatisme, et la “vision ” politiques :
( الواقع و لاستشراف السياسي)
Lorsqu’il atteint le sommet de l’État, au bout d’une longue et riche expérience journalistique, Bourguiba semble avoir tous les atouts politiques en main (la posture du héros sauveur de la nation et libérateur de la femme, le sens de la communication, des compagnons de route fidèles, une méthode d’action, un modèle sociétal avec un socle juridique bien établi..). Pourtant, l’exercice du pouvoir allait s’avérer difficile et le chemin rude du début à la fin
A M. Le président KS.
Après la négligence du 20 mars, il est réjouissant de vous voir commémorer le 21e anniversaire du décès du Zaim, ; il serait encore plus réjouissant de savoir que votre déplacement à Monastir n’est pas un simple geste protocolaire à visée électoraliste ; et que vous vous engagez, réellement, à continuer l’oeuvre bourguibienne, une œuvre lourde à porter et qui semble, aujourd’hui, plus menacée que jamais…