Aujourd’hui, mercredi 8 mars 2023, est célébrée la Journée mondiale de la Femme. A cette occasion, le Président Macron a décidé l’organisation, en France, d’un Hommage national à la militante féministe, la regrettée Gisèle Halimi, née à La Goulette et morte à Parie (1927-2000).
Notre compatriote Mohamed Aziza (alias Shams Nadir), poète et homme de culture, était lié à la défunte par une longue et fidèle amitié. Elle avait tenu, en 1985, à être la première à l’informer de la décision de M. Jack Lang, alors Ministre de la culture, de lui décerner l’Ordre de Chevalier des Lettres et des Arts.
Au moment de recevoir de ses mains cette distinction, il avait prononcé une allocution qu’il avait choisi de partager avec ses amis, pour information, pour partager avec eux un souvenir émouvant.
En voici le texte intégral :
CEREMONIE DE REMISE DE L’ORDRE DE CHEVALIER DES ARTS ET LETTRES PAR MADAME
L’AMBASSADEUR GISELE HALIMI A MONSIEUR MOHAMED AZIZA Paris – Siège de l’UNESCO
ADRESSE DU RECIPIENDAIRE
Madame l’Ambassadeur, Excellences, Mesdames, Messieurs,
Au moment où, de vos mains, je reçois ce témoignage d’estime de la France, c’est avec émotion que je voudrais vous exprimer, Madame l’Ambassadeur, mes sincères remerciements et vous demander de transmettre à Monsieur le Ministre Jack Lang l’expression de ma reconnaissance.
C’est à la fois, avec humilité et fierté que je reçois cet insigne et cette marque de considération.
Parce que ce témoignage s’adresse à la personne que je suis, je le reçois avec humilité. Homme parmi les hommes, je partage, avec tous et chacun, le même frêle destin. Une vague parmi la multitude que pousse vers le rivage où elle viendra se répandre en écume, la formidable pulsion irréversible du temps. Et même nos œuvres sont, au mieux, une trace fugace, une empreinte sur le sable que ne protège de l’effacement que la fidélité de la mémoire de ceux qui nous ont aimés.
C’est une grande leçon de modestie de savoir que notre histoire personnelle ne peut être, comparée aux rythmes du temps et du monde, qu’une buée sur la vitre, l’éclair du vol d’une libellule, un coquelicot solitaire dans l’immensité des champs de blé ondoyant sous le vent.
Mais aussi quelle effervescence de joies et de peines, d’exaltations et de renoncements, de rencontres et de fécondations sous l’humble tessiture dont se drape toute existence individuelle.
Comme vous, débarquant de votre La Goulette natale, l’un des moments significatifs de mon itinéraire personnel fut celui que je fis de la découverte de la France, de son peuple, de sa culture et de ses paysages.
Cette rencontre fut pour moi l’occasion d’une adaptation difficile et pourtant annonciatrice d’un beau murissement.
Comme sortir de soi pour aller à la rencontre de l’autre, sans s’oublier sur le chemin ? Nourri de culture arabe et habitant cette langue, il m’a fallu non seulement apprendre une autre et me hasarder dans une culture différente mais plus profondément assumer, hors de 2 toute dissonance, un bilinguisme et un biculturalisme accueillis dans un désir d’harmonie pour éviter de faire la douloureuse expérience de l’antinomie, de la perte même relative de soi et de la dépossession du monde.
C’est aussi avec fierté que je reçois ce témoignage parce que je le fais au nom de toute une équipe qui a réalisé, par le miracle de la conviction et de l’amitié, un rêve partagé, un défi commun. Une équipe soudée qui s’est retrouvée dans les aventures intellectuelles où je l’ai entrainée et les réalisations culturelles où j’ai bénéficié de la compétence et de l’engagement de ses membres.
Et pourtant, que d’interrogations sceptiques soulevèrent nos projets.
« Comment ? nous a-t-on dit. Vous voulez établir un pont alors que la crue de la folie du monde est à son paroxysme ? Ne voyez-vous pas les remugles où nous nous débattons : l’intolérance qui avance, l’anathème et l’exclusion qui dominent ? »
Nous le voyions évidemment. Mais notre réponse ne pouvait être la résignation, car têtue est l’espérance. C’est au plus fort de l’épreuve qu’il faut faire lever le levain des promesses. Et qu’importent les raisons raisonnantes. Après tout, n’est-ce pas grâce à un disfonctionnement métabolique, une maladie en somme, que l’huitre génère dans la nuit profonde des mers, son enfant de nacre : la perle irradiant sa lumière ?
Invoquant notre commune double appartenance, permettez-moi, pour conclure, de vous dire simplement: Choukran et Merci.
Mohamed Aziza / Shams Nadir