Interview de Samir Marzouki:
« Les Ombres de la nuit », une émission ramadanesque très passionnante
Les Ombres de la nuit, c’est ce « bouquet d’histoires mystérieuses » racontées durant tout le mois de Ramadan 2023, par Samir Marzouk sur les ondes de la RTCI. L’émission passe chaque jour à 9 heures, et est rediffusée à 19 h 30. C’est un vrai régal tant c’est bien écrit et bien raconté. Il s’agit certes de récits très brefs (moins de dix minutes à chaque fois), mais qui sont chargés de tensions multiples destinées justement à susciter toutes sortes d’émotions chez l’auditeur. Le mystère, l’étrange et le fantastique y prennent beaucoup de place ; mais le « bouquet » déborde de tendresse et d’amour au fond. La voix de Samir Marzouki atténue les peurs et les angoisses tout en entretenant le suspense. On en oublie parfois le genre auquel appartiennent les récits, pour prêter toute l’attention à la langue simple, juste et savoureuse dans laquelle ils sont rédigés. Le vrai mystère, finalement, dans Les Ombres de la nuit, c’est cette étrange capacité propre à leur auteur de susciter un même plaisir littéraire et esthétique avec des histoires et des univers si différents. Dans l’entretien suivant, Samir Marzouki revient sur ce mystère et sur plusieurs autres que recèle son « bouquet » quotidien d’histoires exaltantes. Entretien :
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Voix d’avenir : Comment l’idée vous est-elle venue d’écrire « Les Ombres de la nuit » et de la diffuser sur les ondes de la RTCI ?
Samir Marzouki : J’avais écrit cinq ou six nouvelles fantastiques brèves, sans penser à la radio, juste parce que je suis très intéressé par ce genre littéraire que j’ai longtemps enseigné et dans lequel j’ai déjà écrit et publié des récits. Puis, j’ai proposé à la direction de RTCI une émission à base de récits brefs, une émission qui passerait quotidiennement pendant tout un mois. Je l’ai fait pour m’obliger à prendre le temps d’écrire des récits semblables aux premiers que j’avais rédigés, en quelque sorte pour me contraindre à écrire.
Voix d’avenir : Pourquoi Ramadan pour raconter « Les Ombres de la nuit » à la radio ? D’autre part, les horaires de leur diffusion et rediffusion ont-ils été bien étudiés ?
Samir Marzouki : Ramadan est un mois où les médias cherchent à présenter de nouvelles productions, à sortir un peu de l’ordinaire. C’est une opportunité pour les productions nouvelles. Quant à l’horaire de diffusion et de rediffusion, il ne dépend pas de moi.
Voix d’avenir : « Ombres », « nuit », « histoires mystérieuses », récits d’apparitions et de réapparitions, spectres et fantômes, visions et hallucinations, cela donne bien des frissons ! Vos récits auraient-ils une visée cathartique en rapport avec le contexte tunisien actuel, inquiétant sous tous rapports ?
Samir Marzouki : Ce n’est pas volontaire mais c’est possible. Ce qui est au départ de ce travail, c’est le fait que j’aime bien ces histoires qui, pour l’écrivain que je suis, proposent un défi d’écriture intéressant.
Voix d’avenir : En définitive, qui est, ou plutôt qui sont les narrateurs des « Ombres de la nuit » ? Qu’ont-ils en commun entre eux, et en quoi pourraient-ils reproduire une image de vous-même ? En d’autres termes, qui dis «-je » dans vos histoires ?
Samir Marzouki : L’ensemble des récits des Ombres de la nuit n’est pas à la première personne. Le narrateur y est aussi hétérodiégétique. Le recours à un narrateur homodiégétique actualise le récit et le rend plus crédible. Mais le récit n’est pas plus personnel parce que le narrateur y parle à la première personne. C’est juste une technique, un artifice littéraire. Cependant, il y a, bien sûr, des souvenirs, des sensations et des sentiments personnels qui émaillent le récit. Mes narrateurs ne me ressemblent pas mais ils sont fabriqués avec mes intérêts, mes obsessions et mes goûts littéraires.
Voix d’avenir : Quels avantages présente la brièveté dans vos récents récits plus ou moins fantastiques ?
Samir Marzouki : La brièveté concentre l’attention de l’auditeur ou du lecteur. Elle permet de conserver son intérêt pour le récit. C’est aussi, pour l’auteur, un beau défi : arriver à son but en un minimum de temps et avec un minimum de moyens.
Voix d’avenir : Même s’il est destiné à un public bien plus large, le bouquet d’histoires mystérieuses racontées dans Les ombres de la nuit peut-il s’inscrire dans la suite logique de vos derniers récits-jeunesse, Le Fantôme d’Aïn-Draham et Cinq histoires de trésors ?
Samir Marzouki : Non, pas du tout. Les récits que vous citez sont des récits-jeunesse. Ils appartiennent à un genre très différent. Ils plaisent par leur réalisme c’est-à-dire leur possibilité d’advenir dans la réalité. Les récits des Ombres de la nuit, même s’ils sont racontés comme des histoires qui sont bien arrivées, narrent des faits impossibles à croire. La seule technique littéraire commune aux deux genres est le suspense ou l’art de capter l’attention du lecteur. Les Ombres de la nuit, qui ne s’adressent pas spécifiquement à des jeunes, ressemblent plus à mes Contes du vieux retraité, diffusés il y a quelques années, durant trois ramadans de suite, sur RTCI dont ils diffèrent par leur thématique mystérieuse alors que le vieux retraité racontait des histoires de tous genres, tirées de sa longue expérience.
Voix d’avenir : Avant la diffusion des « Ombres de la nuit », vous avez lancé un appel sur Face Book pour que vos amis vous fassent part de leurs opinions sur ces histoires. Pourquoi ? Est-ce en vue d’une publication prochaine du « bouquet », offert dans un premier temps aux auditeurs ?
Samir Marzouki : C’était juste une façon de nouer ou renouer le contact pour avoir et conserver l’envie d’écrire. J’espère publier un jour ces histoires mais les réactions de mes amis, si cela arrive, n’en constitueront pas la raison déterminante.
Voix d’avenir : Ne trouvez-vous pas, Professeur, que tous ces récits peuvent tenir lieu de supports pédagogiques largement exploitables depuis le collège jusqu’à l’Université ?
Samir Marzouki : Peut-être ! Je suis mal placé pour le dire puisque j’en suis l’auteur. Certains de ces récits pourraient illustrer un cours d’analyse du récit ou une anatomie du récit fantastique. Je serais heureux s’ils étaient exploités en classe comme le sont mes récits-jeunesse.
Voix d’avenir : Ne rêvez-vous pas de voir de tels récits transformés en B.D. ou adaptés à l’écran ? Et d’ailleurs, en écrivant vos « histoires mystérieuses », ne convoquez-vous pas tous vos souvenirs de cinéphile et de bédéphile invétéré ?
Samir Marzouki : Bien sûr que je les convoque, ces souvenirs et pas que ceux du cinéphile ou du bédéphile mais d’abord ceux du lecteur passionné de Bram Stoker, de Stevenson, de Bradbury, de Lovecraft. Des élèves et des enseignants ont fait de petits films et même, dernièrement, un jeu vidéo avec mes récits-jeunesse. Pourquoi pas un court métrage ou une BD avec un de mes récits des Ombres de la nuit ?
Voix d’avenir : Pourquoi l’humour, la malice et la fantaisie, l’autodérision même, sont-ils servis à très petites doses dans « Les Ombres de la nuit » ? Ce qui n’est pas le cas dans vos récits jeunesse.
Samir Marzouki : Le récit fantastique et le récit mystérieux, pour capter l’attention du lecteur et lui faire éprouver l’inquiétude ou l’angoisse du personnage, a besoin de son adhésion à ce qui est raconté alors que l’humour, au contraire, crée entre lui et ce qui est raconté une distance incompatible avec cette adhésion nécessaire. Non pas qu’il n’y ait pas du fantastique humoristique mais, dans ce cas, il s’agit de parodie comme dans Le Bal des vampires de Polanski où l’important est l’humour et non plus le fantastique. Par ailleurs, l’humour, quand il n’est pas central dans l’œuvre, est un ingrédient secondaire, un condiment dont s’accommoderait mal un récit bref qui doit aller à l’essentiel.
Voix d’avenir : Aujourd’hui et après la diffusion d’une vingtaine d’histoires, quels échos vous parviennent-ils déjà de la part de vos auditeurs ? Comptez-vous poursuivre l’aventure si elle réussit ?
Samir Marzouki : J’ai eu assez peu de réactions jusque-là mais celles que j’ai eues sont très positives, notamment de la part d’amateurs et de connaisseurs du genre littéraire de ces contes. Le genre de mes récits ramadanesques est assez inattendu, moins convivial que mes Contes du vieux retraité qui s’ouvraient à des récits de genres très divers et partant susceptibles d’intéresser des gens très différents. Je pourrais vous répondre de façon plus complète à cette question après l’Aïd que je vous souhaite excellent à vous comme à vos lecteurs.
Propos recueillis par H. K.