Khaled Ochi
À l’aube de chaque rentrée scolaire et universitaire, la Tunisie se trouve une fois de plus face à un moment décisif où l’avenir de sa jeunesse est en jeu. Ce rituel récurrent, souvent perçu comme une simple reprise des activités académiques, constitue en réalité un retour aux sources de la quête de connaissance, à la confrontation de l’individu face à l’immensité des savoirs, et surtout, à une remise en question des fondements mêmes de l’éducation dans une société en constante mutation.
La rentrée n’est pas seulement le symbole d’un recommencement, d’un renouvellement de cycles éducatifs où se mêlent aspirations, incertitudes et rêves inachevés. Elle est avant tout une phase charnière où la pensée critique doit se réaffirmer, où les citoyens en devenir sont appelés à réfléchir non seulement sur ce qu’ils apprennent, mais aussi sur comment et pourquoi ils apprennent. C’est dans cet espace entre l’absorption passive du savoir et l’émergence de l’esprit critique que réside toute la complexité et la beauté de la rentrée tunisienne, un moment où chaque élève, chaque étudiant, est sommé de participer à une entreprise plus grande que lui-même : la construction d’un sens collectif.
Or, face aux défis contemporains, la rentrée en Tunisie se présente dans un contexte où les fractures économiques et sociales se font ressentir avec acuité. Comment alors, dans ce climat marqué par la discontinuité et l’instabilité, redonner à l’éducation son rôle central, celui de pilier fondamental dans la construction d’une nation consciente de ses potentialités mais aussi de ses fragilités ? La question n’est pas anodine. En effet, le système éducatif tunisien est à la croisée des chemins. Héritier d’un passé où la modernité a tenté de coexister avec les traditions, il doit aujourd’hui composer avec les exigences d’un monde globalisé, tout en conservant ses racines.
Cette tension entre l’universel et le particulier, entre la globalisation des savoirs et la préservation de l’identité nationale, se joue de manière presque invisible dans les salles de classe, les amphithéâtres et les couloirs des institutions académiques. C’est là que se déroule le véritable combat de la rentrée : celui de la réconciliation entre une éducation standardisée, souvent déconnectée des réalités locales, et une quête de sens profondément ancrée dans les spécificités culturelles et historiques de la Tunisie.
La rentrée scolaire et universitaire ne doit pas seulement être perçue comme une continuité des apprentissages académiques. Elle est, avant tout, un espace de réflexion sur le rôle même de l’éducation dans la société tunisienne. Qu’est-ce que nous enseignons réellement à nos enfants et à nos jeunes ? Leur offrons-nous un cadre pour interroger le monde qui les entoure ou simplement un ensemble de connaissances à assimiler sans questionnement ? Si l’éducation est censée être l’outil ultime d’émancipation et de transformation, force est de constater que la société tunisienne doit encore s’interroger sur la manière dont elle aborde cette mission.
Le philosophe Jacques Rancière écrivait que l’émancipation ne peut advenir que lorsque l’élève se libère du joug de l’autorité intellectuelle pour devenir, à son tour, le maître de son propre savoir. À l’heure où l’éducation en Tunisie fait face à des défis incommensurables, il est urgent de repenser cette rentrée comme une occasion d’émancipation intellectuelle. La véritable rentrée ne réside pas dans l’acquisition de savoirs techniques ou académiques, mais dans la capacité des jeunes esprits à se libérer des carcans qui les enferment dans une vision figée du monde, pour embrasser un avenir où la connaissance devient le socle de la liberté individuelle et collective.
Ainsi, la rentrée tunisienne, bien plus qu’une simple formalité administrative, doit être vue comme un moment crucial où les acteurs de l’éducation, qu’ils soient élèves, enseignants, ou responsables politiques, s’engagent dans une réflexion profonde sur la direction que doit prendre l’éducation nationale. Ce n’est qu’en redonnant à la connaissance son rôle fondateur et en réaffirmant l’importance de l’esprit critique que la rentrée pourra véritablement porter ses fruits et contribuer à la renaissance intellectuelle et morale de la Tunisie.
Ce retour vers l’essentiel de l’éducation n’est pas seulement un impératif pédagogique, mais un projet de société. Car c’est en formant des esprits libres, capables de penser par eux-mêmes, que la Tunisie pourra espérer relever les défis qui se dressent devant elle. La rentrée scolaire et universitaire est, en ce sens, bien plus qu’un simple recommencement. Elle est une opportunité, une fenêtre ouverte vers un avenir où le savoir et la réflexion sont les clés de la transformation sociale et humaine.
Khaled Ochi
Faculté des Sciences Humaines de Sousse