Le dernier roman d’Ahmed Mahfoudh est doublement en rupture avec l’univers romanesque auquel il nous a habitué. D’abord, il n’est plus situé dans la médina ou ses faubourgs, ce cocon natal à travers lequel il cherchait une réponse à l’énigme de l’origine et tentait de se recentrer face à une Histoire où la modernisation entrait en coups de vent violents et amers. Le récit se déroule dans une banlieue de villégiature, une villa de bord de mer où l’héroïne se dore au soleil. En attendant d’entrer en scène et d’accomplir son destin, tel Antigone dans la pièce d’Anouilh. L’Auteur lui-même revoit sa jeunesse dans cette magnifique banlieue de mer et de soleil, un vrai paradis méditerranéen où règne le cosmopolitisme et la dolce vita. Raja, dans sa villa de bord de mer vit à l’abri de l’Histoire jusqu’à son mariage qui constitue le baptême de maturité et d’entrée dans le vrai monde. D’un autre côté, c’est la première fois qu’Ahmed Mahfoudh choisit une femme comme héros de son roman. Il faut un grand effort d’altruisme pour un homme de se mettre dans la peau d’une femme pour raconter ses amours, ses rêves, ses désenchantements, son désespoir de femme méjugée et condamnée par la masse du vulgaire sur la place publique. Pour cela, le roman adopte une technique énonciative riche où l’auteur varie les niveaux du monologue intérieur –du monologue narré au monologue direct – et les alterne avec son propre récit à la troisième personne.
Cette multiplicité de voix construit le portrait psychologique d’une femme en clivage avec son époque, une femme qui s’ennuie face à tous les stéréotypes du bonheur : le mariage et la félicité conjugale (elhna), les voyages en Turquie pour faire du shopping, les week-ends dans les hôtels de Hammamet, les soirées de médisances (taqtiî et taryich) …Pour échapper à l’ennui elle se réfugie dans la lecture, mais, est-ce suffisant ! L’alternative facebook la séduit, sauf que c’est une arme à double tranchant et tchatche sans conscience n’est que ruine de l’âme !
Ce roman raconte l’éternel thème de la femme qui rêve d’amour et tombe sur des prédateurs de chair : une véritable Madame Bovary tunisienne, émouvante à force de fragilité et d’immaturité, qui est tenté de jouer sur Facebook. Mais les jeux aujourd’hui n’ont plus rien de ludique ni d’amusant.