La souffrance est souvent le support de la création poétique, et se trouve même à son origine. Lorsque la douleur pousse le poète à écrire, il est à même d’analyser sa propre souffrance qu’il communique au lecteur par le biais de l’écriture, comme s’il voulait partager son mal avec autrui, se sentant ainsi allégé de son fardeau.
C’est donc dans ce cadre que notre poète Jalal El Mokh a écrit son recueil de poésie intitulé « « Jirahi Tasmaou Sawti » (Mes blessures à l’écoute de ma voix), l’un des cinq recueils qu’il vient de publier à la fois. Ce recueil de 102 pages comporte 11 longs poèmes en vers libres dont la majorité sont composés en 2019.
Dans ce recueil, on rencontre un poème portant le même titre « Mes blessures à l’écoute de ma voix » où il s’agit bien d’un cri de douleur poussé par le poète, un cri venant sans doute d’un mal profond et violent ressenti par lui-même suite à des expériences vécues. Cependant, c’est grâce à sa voix (entendez ses vers) qu’il réussit à maîtriser ses maux et soigner ses blessures, à dépasser enfin sa douleur. Mais cela ne se passe pas sans émouvoir le lecteur et l’impliquer dans le malaise du poète, car ce qui touche ce dernier pourrait gagner le lecteur qui, en tant qu’être humain, aurait vécu la même expérience sentimentale.
Voici quelques vers extraits de ce poème en page 63 : « Mes blessures écoutent ma voix/ Je clame, elles obéissent/ Je crie, elles fléchissent/ Elles viennent à mon secours/ Et me procurent aide et soutien/ Mes blessures sont innombrables/ Je flirte avec elles en secret et les invoque ouvertement/ Je les interpelle aux pires moments/ Et nous nous saluons à chaque lever de soleil ou à chaque crépuscule/ Mes blessures sont le secret de mon succès… »
A la fin du même poème, on peut lire à la page 67 ce qui suit : « Ô mes blessures, soyez profondes et ferventes/ Personne ne peut vous arracher de moi/… Mes blessures sont du sang pur/ Elles inondent l’univers de netteté et de beauté/ Elles appliquent mille baisers sur les lèvres de l’espoir et remplissent de mille parfums les cœurs des désespérés… »
Ce recueil s’ouvre sur un poème intitulé « Suicide des démons de la poésie » décrivant un long voyage effectué par le poète, sur les traces de Sindbad, en quête des « Démons de la poésie ». Au fil de son voyage, il rencontre l’un de ces démons qui lui apprend la mort des poètes et partant, de la poésie, cet art sublime qui semble avoir perdu de son éclat et de sa gloire à travers les époques. On peut lire en page 18 : « Quant aux Modernes, ne m’en parlez pas/ Nous n’avons aucun lien avec eux/ Ni avec leurs absurdités divulguées dans les tribunes/ Nous sommes complètement différents/ Tout ce qu’ils disent, c’est du charabia/… »
Cependant, le recueil finit sur un ton optimiste avec le poème intitulé « Hymne du salut » en page 97 où l’on peut lire : « Ainsi la sérénité éclot accompagnée d’espoir/ L’univers est rempli de chants étranges/ dont les sons font danser le temps/ Une chaleur gagne mon corps épuisé/ Et mes battements de cœur sont de retour/… »
Et plus loin, en page 100, le poète exprime sa joie et sa fierté pour la poésie immortelle qui restera sa raison d’être et l’origine de son salut : « Béni soit celui qui embrasse la poésie/Et celui qui lui servira de phare et de lumière, le guidant vers le salut. »
Le reste des poèmes traite de questions philosophiques, métaphysiques et existentielles, telles que la mort, l’après-mort, le destin de l’homme, le mystère de l’inconnu, l’absurdité de la vie. Des textes qui inciteraient le lecteur à repenser son humanité, à réfléchir sur ses choix dans la vie et à apprendre à se connaître soi-même à travers son existence.
Hechmi KHALLADI