- Les vagues migratoires ne datent pas de 2010 et encore moins du Printemps Arabe. Le début du XXème siècle a connu des évènements et des drames humains suite à des guerres ou à des crises provoquées par le nationalisme et le narcissisme des Etats. En 1915, des milliers d’Arméniens fuyant le génocide ottoman s’entassent dans des abris de fortune sur l’île du Frioul à Marseille. La guerre civile de l’Espagne franquiste a provoqué la fuite de nombreux espagnols venus s’installer de l’autre côté des Pyrénées françaises.
En revanche, plus proche de nous, il y a eu vers la fin du siècle précédent un phénomène migratoire qui a marqué les esprits par la détermination des acteurs et leurs modes opératoires ainsi que par l’émotion suscitée dans l’opinion publique. Il s’agit de deux vagues migratoires l’une venue de la région du Sud Est Asiatique appelée les « Boat People »[1], l’autre d’origine cubaine dans les Caraïbes appelée les « Balseros »[2]. Ces deux événements traduisent les souffrances humaines subies par des peuples victimes des calculs géostratégiques et les tensions qui caractérisaient les relations internationales pendant et après la guerre froide.
Le propos de ce texte n’est point d’analyser le pourquoi du comment de ces crises et encore moins d’aborder l’historique des migrations à travers le monde mais il s’agit plutôt d’un regard personnel porté modestement sur quelques trajectoires humaines et leurs impacts sur l’opinion publique que ça soit en France ou en Europe.
A la chute de Saigon en 1975, du temps de la présence française, beaucoup de Vietnamiens, ont quitté la région appelée l’Indochine à bord d’embarcations de fortune, traversant la mer de Chine à destination des Côtes américaines et européennes. Ces vagues se sont accélérées jusqu’au début des années 1990 suite aux guerres qui embrasèrent le Vietnam des Khmers Rouges et le Cambodge pris en tenaille entre l’Occident, l’ex- URSS et la Chine en plein guerre froide
En 1979, des intellectuels français, à l’instar de l’illustre penseur Raymond Aron[3], défendent la cause des Boat People à l’Élysée devant Valéry Giscard d’Estaing (juin 1979), et demandent aux hommes politiques de résoudre le drame de l’accueil des réfugiés repoussés par de nombreux pays (en particulier par Hong Kong, l’Indonésie et l’Australie). Jean-Paul Sartre, déjà âgé, se rallie à cette cause. Avec d’autres intellectuels et des personnalités telles que André Glucksmann, Yves Montand ou Simone Signoret. Bernard Kouchner, lui, lance l’opération Un bateau pour le Vietnam et affrète un cargo, l’Ile de lumière. Cette mission humanitaire en mer de Chine qui donnera naissance à l’association Médecins du monde, sera suivie de nombreuses autres. La France accueille donc un quota officiel de réfugiés des camps. C’est la première grande vague d’immigration d’origine asiatique en France. Entre 150.000 et 200.000 personnes boat people ont péri en mer. La France avait accueilli 120.000 Vietnamiens, Laotiens et Cambodgiens.
Les balseros
En 1990, des Cubains sur des embarcations de fortune essaient de traverser la mer des Caraïbes pour rejoindre le Golfe de Floride et les côtes américaines. Ces candidats à l’exil quittent Cuba suite à une grave crise économique. Le pays sous embargo depuis 1962, vivait d’aides du grand frère soviétique. Après l’implosion de l’URSS en 1991, Cuba s’est trouvée seule sans aides aucunes avec un embargo des plus durs de l’histoire de l’humanité.
Certains réussissent la traversée, d’autres périront en mer. Enfin, bon nombre de balseros se font arrêter et parquer en centre de détention sur la base américaine de Guantanamo. Pour contrôler cette déferlante migratoire et y faire face, Américains et Cubains se sont mis d’accord sur deux points :
- Cuba lève l’interdiction de quitter le pays à ses propres ressortissants.
- Les U.S.A. s’engagent à accueillir 20.000 cubains par an comme demandeurs d’asile à condition que l’Etat cubain s’engage à freiner les départs illégaux en mer.
On estime à 600.000 le nombre de Cubains ayant quitté leur île natale pour s’installer aux Etats Unis.
Donc si on y regarde de plus près, on se rend compte qu’il s’agit d’une émigration motivée par des raisons économiques.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Lundi soir 23 Novembre 2020, place de la République à Paris, le démantèlement musclé d’un camp de migrants d’origine essentiellement afghane a provoqué beaucoup d’émotions en France. Voilà des personnes qui errent depuis longtemps à la recherche d’un toit. Tous ne sont pas clandestins. 20% d’entre eux ont le statut de réfugiés politiques mais la France n’a toujours pas trouvé des solutions d’hébergement pour ces migrants.
Il faut dire que les derniers attentats terroristes commis sur le territoire français ont jeté un voile sombre sur la situation insupportable vécue par des les migrants en France. Le sentiment d’insécurité a été bel et bien exploité et instrumentalisé par certaines tendances politiques accusant les migrants d’être la cause de l’insécurité en France. Point de vue qui n’est pas officiellement partagé par d’autres partis politiques.
Dans ces conditions difficiles, les migrants se battent pour s’en sortir et retrouver une vie normale. Leurs revendications concernent l’accès à des conditions de vie décentes, l’octroi du statut de réfugiés politiques et la régularisation des sans-papiers. Pour l’instant, cela ne bouge pas beaucoup, hormis l’action de mobilisation de la société civile qui essaie de plâtrer, de calmer et de dispenser des soins urgents, mais également de distribuer des aides en nature (nourriture, vêtements, etc.), autant dire une goutte d’eau dans un océan de besoins.
Cette situation de crise migratoire traverse tous les pays de l’Union Européenne. On peut même parler de fissures au sein de l’Union Européenne à propos des solutions à proposer en matière de quotas de migrants accueillis par chaque pays européen. Par exemple, quelques pays de l’ex-Europe de l’Est ont tout simplement refusé l’accueil sur leurs territoires respectifs de ces migrants, surtout les musulmans d’entre eux, qui présenteraient un danger pour la chrétienté de l’Europe.
La crise du Covid 19 qui sévit actuellement dans le monde et en particulier en France rend de plus en plus impérieuse et urgente l’amélioration de la situation des migrants en France. Les comités de liaison des « Sans papiers » sont en berne en attendant la fin de la crise sanitaire. « sans- papiers »
Lexique
Un migrant : Pour l’Unesco, “le terme migrant peut être compris comme toute personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né et qui a acquis d’importants liens sociaux avec ce pays”. Pour la Convention des Nations Unies sur les droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles, les travailleurs migrants sont “les personnes qui vont exercer, exercent ou ont exercé une activité rémunérée dans un Etat dont elles ne sont pas ressortissantes”.
Un réfugié – au sens de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés – est une personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle ; qui craint avec raison d’être persécutée du fait de son appartenance communautaire, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ; et qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou y retourner en raison de ladite crainte.
Un demandeur d’asile : Les personnes essayant d’obtenir le statut de réfugié sont appelées demandeurs d’asile. Les demandes d’asile faites dans les pays industrialisés se fondent le plus souvent sur des critères et des motifs politiques et religieux.
Un Sans-papiers : L’expression « étranger en situation irrégulière » ou ESI (parfois nommé « sans-papiers » ou clandestin » désigne un statut juridique, qualifiant la situation d’un étranger présent sur le territoire d’un Etat, tout en étant dépourvu de titre de séjour en règle. Cette situation peut intervenir de multiples façons : soit après être entré de façon clandestine sur le territoire, soit pour être demeuré sur le territoire après expiration de la durée de validité du titre de séjour, soit encore, dans le cas d’une personne née de parents immigrés sur le territoire national, parce que la demande de naturalisation n’a pas été effectuée à l’acquisition de la majorité légale (un autre cas, rare, peut se présenter dans le cas d’une dénaturalisation).
Malgré le caractère illégal de leur séjour, les étrangers en situation irrégulière bénéficient de certains droits comme en France, l’aide médicale d’État (AME) destinée à prendre en charge les dépenses médicales des étrangers en situation irrégulière et sans ressources résidant en France. En revanche, ils ne sont pas autorisés à travailler.
Espérons que ces éclairages sur quelques notions en lien avec le phénomène migratoire, aideront le lecteur à comprendre ce champ jalonné de dédales, d’incompréhensions, de refus voire parfois d’exclusions dont sont victimes ces parias des temps modernes qui ont pris tous les risques au péril de leurs vies à la recherche d’un monde meilleur.
SITES CONSULTES
* https://observers.france24.com/fr/20101209-balseros-cubains-prets-tout-mettre-pied-etats-unis
[1] Les Boat People : Boat people : gens en barques. A la fin de mon exposé, il y aura un lexique des termes en lien avec le dossier de la migration.
[2] Balseros vient de balsa : barque en espagnol.
[3] Il est vrai que les années 1970 furent marquées entre autres par l’engagement des intellectuels aux côtés des victimes des drames qui secouaient le monde.