Cette fin de semaine a été riche en événements dont deux sont à retenir particulièrement et à méditer pour en raisonner les effets et les causes. Il s’agit du discours du président de la République, à l’occasion de la Journée du savoir, et de l’acte terroriste perpétré, une quarantaine d’heures après, contre les forces de l’ordre à un croisement routier d’important trafic, non sans lien avec le secteur du tourisme.
Il y a tout lieu de croire que la relation de cause à effet entre les deux événements n’est pas à exclure. En effet, le discours du président a souligné, avec une fermeté et une foi qui semblent rompre avec la tradition du « dire pour dire », celle-ci ne souciant guère de la sagesse « Dire, c’est faire ». Or, dans l’état actuel où se trouve notre Etat, on est certes en droit de se demander jusqu’à quel point « dire » peut valoir pour « faire », mais l’essentiel cette fois, c’est qu’une note de sincérité était perceptible dans le discours présidentiel dont deux points importants seraient à retenir essentiellement. Il y a d’abord la démocratisation de l’enseignement, ensuite la réforme de cet enseignement de manière à y apporter une vraie révolution culturelle, à laquelle contribuerait l’enseignement de la philosophie aux enfants, et qui serait à même d’endiguer les effets divers et pervers de l’obscurantisme et du suivisme aveugle, notamment le terrorisme. On saisit déjà le lien, j’espère, entre les deux événements considérés surtout que le président de la République a insisté sur l’obligation d’aller au-delà des agents visibles du terrorisme, les marionnettes manipulées, pour atteindre les commanditaires et les mobilisateurs.
On comprend donc que le pari et le défi sont d’ordre culturel large, passant d’abord par la famille et l’école comme deux terrains d’apprentissage et de mise en pratique de l’intelligence et de la démocratie. Là interviendrait, à mon sens, ce qu’on entendrait par l’enseignement de la philosophie aux enfants, car comment oublier, à ce propos, le rôle joué, dans notre pays entre 1975 et1985, par les classes de philosophie dans l’implantation et l’ancrage de l’obscurantisme et du fanatisme chez plusieurs lycéens ?
Sans doute importe-t-il de rappeler que l’enseignement de la philosophie aux enfants est une idée et une revendication anciennes, qu’on pourrait faire remonter au clivage peu souligné encore entre Socrate et Platon, mais surtout à Montaigne. Mais pour nos temps modernes, elle remonterait à la première publication de Matthew Lipman (La Découverte de Harry Stottlemeier, Paris, J. Vrin, 1978. En fait la première parution en aux USA date de 1974), qui est considéré comme l’initiateur de cette démarche se situant à la rencontre de la philosophie, de la pédagogie et des sciences de l’éducation. L’Unesco n’a pas tardé à adopter l’orientation et son rapport de 2007 sur « La Philosophie, école de liberté » est un document précieux en la matière. Elle a d’ailleurs auparavant publié en 2005 l’opuscule De la philosophie populaire? Ville et philosophie; Art et esthétique.
Nous voici donc sentir le besoin de cette façon de voir presque un demi-siècle plus tard, mais mieux vaut tard que jamais. Nous avons, de notre côté, chatouillé la question, depuis 2012 au moins, par le biais d’un nouveau concept, la Nouvelle Brachylogie, inspiré de la pensée de Socrate (Des journées d’étude ont été consacrées à la question). Certains collègues des départements de philosophie se sont mobilisés aussi pour une sensibilisation et même une revendication à cet objet. Or cette tâche n’est pas sectorielle, elle est transversale de toute action sociétale, notamment d’ordre intellectuel, pédagogique et culturel.
Toutefois, une remarque fondamentale s’impose à ce propos. La dynamique souhaitée s’inscrit forcément dans la perspective d’un idéal principal, celui de « la philosophie pour tous ». A cet effet, il faudrait que certains « enseignants de philosophie » descendent de leur piédestal hautain et égotiste, pour s’installer et agir, en toute humilité, au niveau du commun des gens et pour donner la preuve que la philosophie n’est pas simplement un savoir (d’ailleurs désormais facilement accessible), mais une intelligence du savoir et de l’existence, intelligence à s’auto-perfectionner au contact et à la conversation avec l’Autre, sans discrimination préalable. Voilà pourquoi nous avons parlé d’une révolution culturelle et pédagogique !
Ainsi la philosophie deviendra une école de l’esprit critique et d’abord de l’autocritique, donc de la relativisation des vérités, et par conséquent une école de la liberté et de la démocratie.