Par Mansour M’henni
Heureuse initiative, celle de ce nouveau pas entrepris par l’Union des écrivains tunisiens (UET) vers la communication numérique en organisant, dans le cadre de ses activités affectées par la covid 19 comme toutes les autres, une rencontre en ligne avec le poète Mansour M’henni, autour de son œuvre et à partir de son recueil de poésie, Petits poèmes en dose, publié par L’Harmattan à Paris en 2018.
On n’a certes pas manqué de lire régulièrement des informations sur l’activisme de l’UET et de son président Slaheddine Lahmadi à défendre l’intérêt des écrivains et une convenable politique du secteur livresque dans notre pays. Mais cette dernière action, que l’UET entend pérenniser et développer, revêt une signification particulière qui dépasse le cadre même de l’union et qui touche la citoyenneté culturelle. Elle montre qu’avec un peu plus d’effort, on est capable, même dans les conditions les plus difficiles, à continuer d’œuvrer pour une culture vivante, toujours actualisée et toujours articulée à la dynamique générale de la société. Elle montre que, en dehors même des cadres institutionnels, les écrivains tunisiens peuvent créer une chaîne de solidarité qui servirait leur image et promouvrait leur rôle et leur engagement citoyen.
Quant à la rencontre du 22 novembre 2020, elle a revêtu un aspect spécifique puisqu’elle a porté sur la littérature tunisienne de langue française et des questions y afférentes. Il faut croire que l’expérience discutée (avec une présentation du modérateur Habib Falfoul et une étude approfondie de l’universitaire, écrivain et journaliste Badreddine Ben Henda) se prêtait bien à toutes les questions posées, mais cela n’est pas l’objet de cette chronique. Ce qu’il importe de retenir surtout, dans une vision générale, ce sont les problèmes suivants :
¤ Il est vraiment temps de dépasser les petites considérations idéologiques et anti-créatives de scission séparatiste entre la littérature tunisienne de langue arabe et celle de littérature tunisienne de langue française ou autre. Toute littérature d’un tunisien, se reconnaissant comme tel, est tunisienne quel que soit le lieu où il vit et indépendamment de la langue qu’il utilise. Elle est une littérature de « langue française » et non « d’expression française », car l’auteur tunisien exprime sa tunisianité dans la langue qu’il choisit d’utiliser. Pour la Tunisie moderne, la langue française est un « butin de guerre », pour reprendre l’expression de Kateb Yacine, et comme toute autre langue, elle est un adjuvant de son développement et un catalyseur de son progrès.
¤ A ce titre, il conviendrait de saluer la démarche de l’UET cherchant à rompre ce complexe d’un autre âge, tout en s’attachant à ses racines culturelles d’arabité et d’islamité, et invitant les écrivains et les journalistes culturels à reprendre l’initiative de l’auteur invité consistant à publier, il y a près de quinze ans, avec la revue de l’UET, Al-Massar, un supplément de langue française nommé « Al-Malaf ». Mieux même, le président de l’UET propose une deuxième revue de l’union publiée en langue française.
¤ Par ailleurs, une éthique de la conversation et du respect réciproque doit présider à l’interaction des écrivains entre eux, mais aussi à l’interaction avec d’autres catégories professionnelles, notamment celles de l’enseignement et celle des médias. En effet, ces deux catégories professionnelles, avec celle de l’économie aussi, sont les principaux moteurs d’une pratique de la lecture aussi étendue que possible et donc du développement de l’industrie du livre et de la créativité des écrivains. Leurs actions coordonnées pourraient répondre aux attentes des auteurs oubliés ou ignorés et à celles des jeunes qui se sentent abandonnés par leurs vétérans dans la pratique de l’écriture.
Ainsi, la rencontre par le web de l’UET, le 22 novembre 2020, a largement atteint ses objectifs ; elle a surtout ouvert la voie à de nouvelles stratégies actives, à même de conforter l’ambition de notre société au développement durable de la culture.