Par BADREDDINE BEN HENDA
L’autre jour, l’un de mes amis m’a fait écouter des extraits de mon dernier roman, lus par une femme, et ce grâce à une réalisation technologique destinée, prioritairement je pense, aux non ou mal-voyants et à certains handicapés moteurs incapables d’accéder à la lecture autrement. Je n’en croyais pas mes oreilles et ne reconnaissais pas mon propre texte tellement la voix qui le lisait était expressive, féminine, suave et sensuelle. Sur l’instant, elle m’a rappelé celle de Sophie Marceau accompagnant les documentaires sur la nature sauvage et le monde des animaux.
Mon texte était cruel et décrivait l’incurie et la désolation ambiante dans une ville de l’arrière-pays tunisien. Cependant tel que lu par la femme inconnue, il se transformait en une succession de mots mélodieux, harmonieux, comme tirés de la plus belle déclaration amoureuse du monde. La voix transmuait le fiel suggéré par mes descriptions en un miel savoureux qu’on passerait la vie entière à lécher sans jamais s’en lasser.
J’ai personnellement des amies dont les voix envoûtent n’importe lequel de leurs auditeurs. Il m’arrive de les appeler au téléphone, pas vraiment pour avoir de leurs nouvelles, mais surtout (quel vicieux je fais dans ces moments-là !) pour ouïr et jouir en les écoutant parler en musique, rire en musique, soupirer en musique, pleurer même en musique. Ah ! Si toutes ces voix lisaient ma prose et ma poésie à la manière de la femme inconnue du livre-audio !
La lecture à haute voix est un art, je le sais. Ma voix n’est hélas pas radiophonique; je me suis plusieurs fois écouté, et c’était toujours aussi catastrophique. Dieu sait pourtant que je chante bien. Ce n’est pas la même chose, apparemment, quand on lit un texte littéraire à la radio, à la télévision, au cinéma, devant un public d’initiés. Comme dans le rapport entre un parolier et le chanteur qui interprète ses textes, l’écrivain et le poète doivent confier la lecture de leur littérature à des artistes confirmés qui savent moduler leurs voix respectives selon les inflexions du texte et sa musique interne.
Lorsqu’elle est réussie, la lecture à haute voix embellit le texte romanesque, poétique ou même journalistique. La voix du lecteur ou de la lectrice professionnels sait procurer à l’auditeur passionné (mélomane lui-même d’une certaine façon) un orgasme tout particulier que le livre seul, que les pages et les lignes seules ne permettraient pas d’atteindre. C’est finalement un acte d’amour mutuel que la lecture à haute voix ! Un coït délicieux entre celui (ou celle) qui lit et celui (ou celle) qui écoute!
L’autre jour, en écoutant l’enregistrement des extraits de mon roman, j’ai fait l’amour avec la voix qui les lisait et avec mon propre texte qui, sur les lèvres de la lectrice inconnue, s’offrait à moi, à mes oreilles je veux dire, comme dans une autre virginité, comme dans une affriolante nudité ! Merci à l’ami et merci mille fois à la voix que ce dernier m’a permis de percevoir et d’étreindre le temps de quelques extraits littéraires choisis !