Par Mansour M’HENNI
La Tunisie est aujourd’hui à la croisée de toutes les convoitises et d’un réveil de conscience de personnes et de groupes qui semblent, en tout cas se disent, motivés par l’intention de la servir mais dont les desseins profonds sont mus par différents calculs et par de nombreuses combines. Il y aurait aussi bien de l’intérêt personnel dans ces manœuvres que des services à rendre à des bailleurs de fonds ou à des pourvoyeurs de pouvoir d’influence. C’est dans l’ordre des choses, dirait-on, car c’est cela la politique ! À la bonne heure, mais parlons-en dans les termes idoines qui donneraient une idée des aspects variés du problème, car c’est cela le journalisme d’opinion, et même le journalisme tout court.
Ce samedi 18 septembre 2021, une mobilisation est prévue, à l’appel de certaines figures et formations politiques, pour contrer Kaïs Saïed sous le label de la défense de la constitution de 2014. L’un des chantres de cet appel, rattrapant un train qu’il n’avait su prendre au départ, est Moncef Marzouki, ex-président provisoire.
Indépendamment de la dimension et du degré de succès de cette mobilisation, et sans nul parti-pris pour le Président de la République dont il y a lieu de critiquer diversement la démarche de l’après 25 juillet, il nous paraît légitime d’attirer l’attention sur les incohérences, les contradictions, voire les intentions malveillantes de Moncef Marzouki non seulement à l’égard de Kaïs Saïed, mais à l’égard de l’éthique de base d’un vivre-ensemble auquel aspirerait son pays dans la logique et la dynamique qui lui épargneraient les affres et les balafres d’une décennie, à notre avis déjà mal partie avec l’intronisation nahdhaouie de Marzouki comme président provisoire.
Autant le dire d’emblée, M. Marzouki a le complexe hystérique de la présidence de la Tunisie, un complexe dont il ne nous revient pas d’en parler dans ce cadre; c’est la raison pour laquelle il a porté continuellement une haine maladive pour tous les présidents tunisiens, avant et après le 14 janvier 2011. Il aurait juste été complaisant avec Bourguiba au début des années 80 du siècle dernier et avec Ben Ali les premières années du changement du 7 novembre, jusqu’à son coup de gueule avec la Ligue des droits de l’homme dont les raisons ne sont pas toujours exposées dans leur juste réalité.
Cela est ici rappelé pour relever l’une des contradictions de Marzouki qui a dit avoir fondé en 2001 son parti le « Congrès pour la République » parce que selon lui, il n’y avait jamais eu de république en Tunisie et que c’était lui qui allait la fonder (Le Complexe marzoukien de Bourguiba en tant que fondateur s’est nourri d’une telle illusion). La question donc, si la Tunisie n’était pas une république, pourquoi avoir choisi de présenter sa candidature à la présidence de la « République » en 1994, contre les conditions constitutionnelles requises?
Il y aurait à démonter, de façon objectivement analytique, au moins pour l’Histoire, toute la biographie complaisante de Marzouki publiée surtout par Wikipédia. Cela permettrait de comprendre les dernières déclarations de l’ex-président provisoire, dans la foulée des événements et des décisions faisant suite au 25 juillet 2021 et, redisons-le clairement, sont à plusieurs points de vue critiquables malgré l’heureux acte initiatique de cette date. Ainsi, abstraction faite de l’avant janvier 2011, certains détails peuvent être rappelés pour une meilleure intelligence de ces déclarations et du comportement de leur auteur. Voyons donc ce qui ressort des déclarations marzoukiennes, objet de notre propos :
¤ Il n’est peut-être plus étonnant que l’écrasante majorité de ces déclarations sont initialement diffusées soit sur la page « officielle » facebook de leur auteur, soit par la voie d’Al Jazeera avec laquelle Marzouki serait lié par un contrat de longue date (ce qui n’est pas interdit, mais qui informe des appartenances du concerné) ou de l’agence Anadolu, agence de presse du gouvernement turc. Il ne serait donc pas aberrant d’en conclure une étroite complicité entre le mouvement En-Nahdha, son président de service dans la troïka et ses partenaires géostratégiques autour de la coalition de l’islam politique. A titre indicatif, voici l’information portant sa déclaration du 26 juillet 2021 : « L’ancien président Moncef Marzouki a choisi la chaîne qatarie Al Jazeera pour s’exprimer sur le discours du président Kais Saïed. Il a ainsi qualifié son acte de coup d’Etat et accuse clairement et sans ambiguïté les Émirats d’être derrière lui ».
¤ Appelant à une mobilisation de masse contre K. SaÏed, le 18 septembre 2021, M. Marzouki inscrit ce mouvement dans la défense de la constitution de 2014 dont il voudrait faire un acte de déshistoricisation de la constitution de 1959 : « La Constitution de 1959 a abouti à 50 ans de dictature ». N’empêche que c’est cette première constitution de la Tunisie indépendante qui a fait la Tunisie moderne et qui a permis l’épanouissement de ses intelligences de façon à permettre au plus banal d’entre eux d’atteindre les hauteurs de l’échelle scientifique et même d’aspirer à la présidence du pays. Quant à la dictature, elle n’est pas toujours le résultat d’une constitution mais souvent celle d’une façon d’être à et dans la citoyenneté, car au cours de la dernière décennie, on a vécu des dictatures biaisées sous couvert de démocratie.
¤ Le 03-09-2021, l’ancien président provisoire Moncef Marzouki, dans un moment de relative sagesse ou de pernicieux calcul, publie un post sur sa page officielle facebook suggérant au président en exercice d’entamer « trois principales missions: la première est de fédérer un peuple qui est forcément traversé par des conflits interminables ; la deuxième est de veiller sur l’unité de l’Etat, et la cohérence de ses institutions et son action dans le cadre de la constitution, et de la suprématie de la loi ; et la troisième est de veiller sur l’indépendance de la patrie et la dignité du citoyen ».
N’y a-t-il pas là une contradiction avec sa condamnation du complot, dans la déclaration du 26 juillet ci-dessus citée ? Sa position a-t-elle changé, avec l’adoucissement du ton d’En Nahdha, comme le laisserait croire sa déclaration à l’agence de presse turque Anadolu, où il a reconnu, il y a seulement 4 jours, que « jusqu’à présent, le président Kais Saied confirme qu’il agit conformément à la constitution et qu’il y est encore attaché ». Pourtant, auparavant, dénigrant la visite de SON président en Egypte et rendant hommage à Morsi et aux « martyrs de Rabiaâ », il avait déclaré en avril 2021 : « Cet homme auquel la révolution a permis d’arriver à la plus haute marche du pouvoir ne la représente plus, insiste-t-il. Il ne représente plus non plus l’indépendance du pays, ni son unité, ses intérêts ou ses valeurs, et à plus forte raison l’honneur de la Tunisie. Que Dieu bénisse les martyrs bafoués par les intrus de l’histoire ».
¤ Au final, la grande hargne de Marzouki s’inscrirait dans le prolongement de l’appel des partis de gauche, malgré la modestie de leur poids tous réunis, à la mobilisation du 18 septembre. Elle aurait pour principal objectif le regroupement du maximum des forces politiques, fût-ce à titre symbolique, dans la mouvance d’opposition conduite, sans trop paraître en prendre la direction, contre non seulement Kaïs Saïed, mais aussi tout l’événement du 25 juillet 2021. « Je vous appelle tous à manifester demain pour défendre le pays indépendamment de toutes les appartenances partisanes et idéologiques », Marzouki dixit.
C’est à bon escient que nous employons le mot « hargne », à la lumière de la répétition sans vergogne, d’un prétendu président à l’égard d’un autre, de l’expression : « Kais Saied devrait être limogé étant donné qu’il est un menteur » ; « il ne jouit plus de la légitimité » ; « [Il] a menti au peuple tunisien » ; « Il doit soit démissionner soit être écarté du pouvoir » ; « Il est menteur et illégitime ».
Par ailleurs, de quel limogeage d’un président élu à près de trois millions de Tunisiens se permettrait de parler un président provisoire élu à 7000 voix ? Nous faudra-t-il un « coup d’Etat médical » comme on a pu le dire du 7 novembre 1987 ? Ou alors une vraie révolution populaire à laquelle le peuple semble rester sourd tellement le mot ne veut plus rien dire pour lui, au-delà de sa fonction de slogan dans les propos occasionnels de propagande dans l’espoir pour certains d’un repositionnement politique ?
Pour finir, nous insisterions de nouveau sur l’indépendance de l’opinion ici conduite vis-à-vis de toutes les formations politiques en place ainsi que de la présidence de la République et de ses soutiens. Cette chronique se veut aussi hors de toute évaluation de la journée de mobilisation du 18 septembre 2021. Il s’agissait seulement d’analyser un comportement politique de quelqu’un qui est sans doute pris, par certains, pour un membre de l’élite en la matière, afin d’inviter à en étudier les causes profondes et les effets divers. La conscience citoyenne en tirerait peut-être quelques enseignements.