Je ne sais si c’est le cas pour vous aussi. Depuis la période du confinement total, j’ai appris à vivre chez moi. Moi qui vivais plus à l’extérieur (travail, rencontres, cafés, etc), j’ai acquis des habitudes casanières. Le dedans est devenu fascinant. Peut-être serait-ce à cause du couvre-feu qui réduit la journée à quelques heures et rétrécit celles de la soirée. Peut-être serait-ce l’effet du confinement où l’on s’amusait à rester chez soi, par contrainte et crainte, par obligation et précaution. En tout cas, d’autres habitudes se sont installées. Le moindre effort nous fatigue et toute sortie est calculée et organisée. On n’est pas encore entièrement libres. On est en quelque sorte confinés psychiquement ! Nocturne que j’étais, aujourd’hui je m’endors à minuit, ou au plus tard à 1h du matin. Car je commence à compter ma soirée depuis l’heure du couvre-feu. Je crois que nous avons changé à notre insu. Notre joie de vivre est une mise en scène, notre mouvement est paralysé, nos projections dans le futur contingentes. On est sûrs de rien, presque. Deux ans de notre vie sont passés à notre insu. On a presque pas vécu les années écoulées. Il est vrai qu’on a pu réaliser certaines choses grâce à cette limitation d’action, mais il n’en demeure pas moins que mentalement on s’est senti lésés, cantonnés. J’ai du mal à imaginer l’année qui vient : 2022. 2019 je l’ai vécue, je m’en souviens, 2018 aussi… Mais les deux ans pandémiques ne me disent limite rien. Quelle drôle d’impression ! Un état psychique ambigu. Certains repères ont été perdus. C’est pour ça peut-être ! Une chose est certaine : on a perdu chemin faisant quelque chose de notre humanité. De ce qui nous définit. Le temps ? La liberté ? Le courage ? L’espoir ? Je n’en sais rien, mais on perdu quelque chose d’essentiel. Quelque chose qui relève de notre être. On n’est plus les mêmes. On marche. Vers l’inconnu. On marche vers un parcours déjà vécu. Un vrai éternel retour, une véritable spirale. Une vie qui se mord la queue. C’est pour dire que nous avons appris à vivre dans « nos têtes » sans se soucier de ce qui adviendra ni de ce qui nous arrivera. Le dehors dangereux est aujourd’hui un lieu de paresse et d’inertie alors que le dedans est un abri. On se protège dans le giron de nos peurs et nos angoisses. Suis-je pessimiste ? Non absolument pas. Je ne suis plus dans cette profondeur. Les deux années m’ont appris à regarder la vie à passer tout en essayant de la vivre, enfin en faire partie.
(Mounir Serhani: Universitaire et écrivain marocain)