C’est triste de le constater; mais nos étudiants qui préparent des thèses de doctorat ou des mémoires de Master en littérature française boudent de plus en plus la poésie. Depuis que je dirige et évalue ces travaux de recherche à l’Université, je n’ai eu le plaisir de lire et d’apprécier aucune thèse ni aucun mémoire sur une œuvre, un mouvement ou un genre poétiques. Dieu sait pourtant que dans les programmes de chaque année, la poésie est bien présente sur les deux semestres, et à travers au moins deux poètes connus d’époques historiques différentes. Les manuels du secondaire sont par ailleurs relativement bien fournis en textes poétiques tout aussi diversifiés.
Que se passe-t-il, donc ? Pourquoi cette déplorable désaffection au niveau des recherches de haut niveau ? Est-ce la faute des enseignants qui, peut-être, ne font pas assez pour transmettre la passion de la poésie ? Les spécificités de l’écriture poétique, parfois pénibles à aborder sans maîtrise de certaines connaissances bien particulières, seraient-elles à l’origine du regrettable désintérêt ? Le relatif déclin que connaît le genre poétique depuis quelque temps chez nous et ailleurs y serait-il pour quelque chose ? En Tunisie, les éditeurs et les libraires contribuent de moins en moins à la promotion de la poésie, surtout celle écrite en langue française. Les journaux et les revues (même culturels ou littéraires) lui consacrent de moins en moins de place sur leurs colonnes. Et les poètes eux-mêmes alors ? Ne peuvent-ils pas être responsables du désamour manifeste dont pâtit, sous nos cieux, leur genre littéraire de prédilection ?
Il y a de tout cela, dans la crise de la poésie sous nos cieux. Une nouvelle image plutôt défavorable s’installe et se répand à propos du poète, notamment lorsque ce dernier décroche délibérément sa littérature de l’actualité et de la réalité historique qui lui sont contemporaines. Du temps des grands engagements politiques et idéologiques, en terre arabe et dans le monde, les poètes avaient le charisme et la notoriété des illustres personnalités historiques de leur temps. En Tunisie, on vénérait les poètes français et francophones du XXème siècle; et l’on citait/récitait régulièrement ceux des siècles précédents. C’étaient alors les premières années de l’indépendance vécues encore avec la fascination persistante pour la langue et la culture séculaires du colon français. Dans les années 1970, 1980 et 1990, la génération formée à l’école bourguibienne écrivait ses poèmes très souvent en français (Qui n’en avait pas en son nom, parmi les enseignants et les intellectuels d’une manière générale ?)
De nos jours, et depuis bientôt deux décennies, le nombre des poètes et des productions poétiques s’est considérablement réduit. Les recueils en français se raréfient tout autant que les occasions et les espaces pour les lire et les discuter. Aucun prix de valeur ne récompense chez nous les œuvres poétiques. Comar, c’est pour le roman ! Après Comar, c’est (presque) le désert ! Au Ministère des Affaires culturelles, le soutien aux créateurs s’affaiblit d’année en année : en 2021, et à titre d’aide à la production, la Direction du Livre n’a acheté à certains écrivains que 40 exemplaires !!!
Dans un tel contexte, il ne faut pas s’étonner que les jeunes chercheurs se détournent de l’étude de la poésie. Ce n’est pas tout à fait le cas chez les “arabisants”, m’apprend le Professeur Abdessalem Aissaoui : “Les enseignants-encadrants interviennent souvent dans l’orientation des étudiants vers des recherches sur la poésie arabe. ” ! Mais alors, pourquoi la situation est autre dans les départements de français ? La question reste donc sans réponse !