Par Mansour M’HENNI
Ma chronique précédente a pour titre : « Et si l’on fêtait la naissance du Zaïm plutôt que sa mort » ? C’était à l’occasion de l’anniversaire (119e) de Bourguiba. Je savais que le 13 août allait ramener l’attention et le débat autour de cette personnalité fondatrice et sainement militante (sans aucune sainteté, car pour être assez sain il n’était pas moins homme), une figure représentative de l’histoire moderne de la Tunisie, une icône de synthèse de toutes les autres personnalités ayant brillé dans les secteurs variés de la vie, intellectuel, politique, social, etc. Figure de leur synthèse et non de leur effacement.
En effet, le 13 août 1956 a été une date inaugurale de la pratique réformiste dans la société tunisienne. Elle souligne, comme confirmé par l’Histoire, que dans la vie et l’évolution d’un peuple, pour la réalisation d’un acte crucial, un rendez-vous raté est difficilement rattrapable. Sa réalisation est alors tributaire soit de la ferme détermination d’une personne détenant le pouvoir légitime décisionnel et décisif, soit d’une volonté collective détenant son droit à la décision par un statut légal ou légitime. Toujours est-il que si le statut légal est défini par des textes de loi, le pouvoir légitime peut-être balloté dans la relativité flottante de l’interprétation de la notion même de légitimité.
Ainsi, quelle que soit l’opinion qu’on peut avoir sur le statut de Bourguiba en août 1956, soit cinq mois seulement après l’indépendance et près d’une année avant la proclamation de la République, pour oser l’acte de promulgation du Code du Statut Personnel (SCP) , celui-ci reste une réalisation exceptionnelle et un acte initiatique d’un renouveau de l’édification sociétale moderniste, non seulement en Tunisie mais dans tout le monde arabo-musulman, voire plus largement à la surface du globe. On peut imaginer les oppositions auxquelles a pu se heurter l’esprit du CSP, dans la plupart des « pays frères », en œuvrant, au cours des ans, à la confirmation de sa rationalité et à la complétude de ses réalisations. Mais que ces oppositions germent récemment dans notre pays, dans la République de Bourguiba, c’est on ne peut plus inquiétant, non du point de vue du culte d’une quelconque personnalité, fût-elle celle de Bourguiba, mais du point de vue de la menace évidente du dérapage civilisationnel et de la fragilisation des assises d’une société tunisienne de l’intelligence, du progrès et de la solidarité.
Aujourd’hui, de part et d’autre, on assiste à des commémorations faites sur mesure et commandées par des calculs politiques trop particuliers pour l’urgence historique que nous vivons. Voilà de quoi penser à reprendre l’idée de base de l’unité nationale tunisienne, sans y ignorer les droits individuels ni les formes idoines de la coopération internationale ! Il faut donc cesser de jouer les pions et les agents d’une quelconque tutelle interne ou externe et se mobiliser sur la consolidation de notre modèle sociétal, pour lequel nous avons été longtemps enviés.
Il y aurait certes à y trouver un terrain d’entente, au moins un consensus de base, sur les mots et les concepts que nous utilisons, surtout celui de démocratie, pour être certains que nous parlons de la même chose. Il faudra ensuite fixer des objectifs rationnels et bien étudiés et le faire dans le maximum de convergence des points de vue, avec des concessions nécessaires de tous côtés. Après, c’est le travail, en toute conscience et dans le plein engagement dans la logique de l’intérêt collectif et de l’image de marque de notre patrie.
Avec une telle vision des choses, l’évocation ou l’omission de certaines figures représentatives de notre histoire doit trouver sa justification logique et convaincre le maximum de citoyens. Sommes-nous capables d’une vraie mobilisation dans un tel état d’esprit. Osons l’espérer car notre salut passe par là !
(Publié aussi par jawhatafm.net)