Il est des contretemps qui s’abattent parfois inopinément sur de petites communautés, provoquant souvent un état de déroute et des sentiments d’incertitude et de perte de repères. La sagesse consisterait alors à raison garder et à laisser passer l’orage pour retrouver le beau temps de l’accalmie et le savoureux goût de la vie commune.
Je crois que la crise qui est venue frapper – momentanément, j’en suis certain – les relations de fraternité sincère et d’amitié solidaire entre le Maroc et la Tunisie est, elle aussi, de cette nature des orages momentanés, éphémères, circonstanciels et qu’il nous revient et nous importe de la prendre en tant que telle pour ne pas insulter l’avenir et ne pas remettre en cause l’essentiel durable sous l’effet d’un contretemps fâcheux.
Nous savons tous que la politique a parfois (souvent même) des raisons que la raison ne comprend pas ou dont elle ne peut saisir que des pressentiments ou des présomptions. En ces temps de considérations particulières, la citoyenneté rationnelle et la raison citoyenne devraient dicter des comportements et des attitudes à même de calmer le jeu et de ne pas attiser le feu des conflits. « Laisser passer l’orage » ! Laisser les politiciens de métier finir leur jeu et défendre leurs enjeux, pendant que la citoyenneté continue de défendre ses droits historiques à la communauté de destin des hommes et des femmes des pays du Maghreb : un seul peuple pour un destin partagé. Je le dis pour le Grand Maghreb ; je le dis d’abord et surtout pour le Maghreb : Algérie-Maroc-Tunisie.
C’est ce principe de base et cette valeur fondamentale qui, il y a près de 65 ans (Conférence organisée à Tanger du 27 au 30 avril 1958), d’autres chefs et militants politiques, peut-être au fond plus citoyens que politiques malgré leurs casquettes, ont fait poindre le noble bourgeon du Maghreb qui, malheureusement, tarde encore à fleurir et à donner des fruits mûrs. En 2013, un jeune marocain installé à Paris rappelait, dans L’Année du Maghreb : « Trente et un ans après la conférence de Tanger de 1958, première expression d’un rêve d’unité maghrébine très vite avorté, Nouakchott, Rabat, Alger, Tunis et Tripoli signaient l’Accord de Marrakech. Les premiers articles évoquent ni plus ni moins la “fraternité”, “le progrès”, “la paix”, et la “libre circulation” et définissent trois principaux axes à développer : politique, économique et culturel. Quelques décennies plus tard, l’idéal d’une unité maghrébine a bien vite cédé le pas à la logique de l’intérêt national. » (El Mehdi Lamrani, « L’Union du Maghreb ou l’invincible espoir », L’Année du Maghreb, IX | 2013, 263-276). C’est par rapport à ce repère et à ses fondements historiques, culturels et populaires, que notre intelligence citoyenne devrait se situer, penser et agir.
Malheureusement, sans doute dans tous les pays de l’ensemble, il y a des voix qui s’élèvent, dans pareilles occasions de mésentente, comme un drapeau de guerre et se font les premiers éclaireurs du combat jugé inévitable et devant engager leur patriotisme, qui n’est en fait qu’une forme de flagornerie politique, passée de mode. Ils n’hésitent alors pas à s’attaquer à leurs propres concitoyens ayant des positions différentes et à les traiter de corbeaux et d’ennemis de leur propre pays. Parmi ces voix, il y en a qui relèvent des médias, apparemment d’un autre âge même si de naissance récente ! Il ne s’y agit même pas de chroniques qui se justifieraient par la liberté d’expression, mais d’opinion épousées et signées par la rédaction du média. Peut-être la modération de tels propos vaut-elle mieux que l’excès, pour ne pas insulter l’avenir.
Quant à la comparaison des concitoyens à des corbeaux parce que pensant autrement, il y a lieu de croire que sur ce point il y a erreur sur la symbolique car le corbeau représente souvent la mort et la fin, tandis que la colombe représente la paix. Je le dis encore haut et fort : « Les trois pays du Maghreb sont condamnés et voués à un destin partagé parce qu’ils ont historiquement intériorisé leur conviction justifiée de constituer un seul peuple ».
Allez voir alors qui est la colombe et qui est le corbeau.