Par Mansour M’henni
Tous les Tunisiens s’inquiètent de leur avenir et de celui de leur pays, les deux étant interdépendants et difficilement séparables dans une approche rationnelle de la façon d’être à la vie et à la société.
Il faut croire que les raisons de cette inquiétude sont nombreuses et le scepticisme qui a frappé l’espoir naturel des Tunisiens risque de dénaturer les caractéristiques fondamentales de leur « tunisianité ». Au-delà des situations conjoncturelles, il y aurait surtout un malentendu sur les mots, sur les concepts et sur les profils des personnes à choisir dans les formations et les institutions de la représentativité citoyenne. Force est de reconnaître que, sur ce plan, les partis politiques, les médias aidant, sont en train d’ôter à l’action politique ses présupposés éthiques sans lesquels la politique devient simple jeu de corruption, d’exploitation, de manipulation et de cynique volonté de puissance.
Le pouvoir est l’objectif de l’action politique, nous dirait-on ? Oui, mais pas pour faire n’importe quoi, n’importe comment. Il est vrai qu’en démocratie, la variété, le pluralisme et les oppositions sont dans l’ordre des choses ; précisons cependant que, plutôt qu’un concept de base, cette démocratie est devenue une stratégie que chacun définit à sa façon pour s’en servir comme argument pour soi contre les autres, et non un argument pour tous les uns avec les autres. C’est là que la citoyenneté devrait corriger la démarche et les comportements ; mais on a de plus en plus l’impression que, pour le triste sort de la Tunisie, la citoyenneté non conditionnée n’est plus de mise.
Pour le court terme, la Tunisie a donc besoin de retrouver, dans les hommes et dans les structures politiques, la manifestation évidente d’un engagement citoyen rationalisé autour du centrisme politique, celui-là dont les valeurs de base et les objectifs sincères peuvent fédérer les moyens et les actions pour des objectifs convenus par une large part des citoyens, qu’il conviendrait de ne pas appeler « le peuple » dans les discours politiques afin d’éviter la manipulation gratuite et trompeuse. Cela ne saurait ôter à quiconque le droit absolu de ses choix politiques et de ses alignements aussi spécifiques qu’ils paraissent. En effet, comment convaincre Hamma Hammami (un cas typique) d’une telle orientation ? Comment s’assurer de la sincérité des Islamistes s’ils y adhèrent, sans des changements radicaux dans leurs principes de base de l’action politique, la libérant du conditionnement cultuel ? Mais dans la dynamique espérée, il s’agit de la raison majoritaire, parce que justement elle est la plus rationnelle, et qu’elle serait celle choisissant d’œuvrer, de façon étudiée, pour un mouvement néo-centriste, même si sa dénomination devrait être plus parlante et moins galvaudée, un mouvement fédérateur par le discours et par l’action à même de ressusciter la notion de « l’unité nationale tunisienne ». Tous pour la Tunisie, indépendamment des appartenances de genre, de classe, de race, de région, d’idéologie, de religion (ce qui ne remet pas en question l’islamité de la Tunisie, non l’islamisme), etc.
Ce mouvement sera nécessairement dans une proximité évidente avec l’UGTT, mais dans le respect des domaines et des moyens d’action de chaque formation ; il sera également dans une pensée renouvelée et une stratégie réadaptée de l’esprit réformiste tunisien, enrichi par les hauts et les bas de l’expérience politique des 55 années de la Tunisie indépendante et ne rejetant ni les hommes ni les acquis de cette période fondamentale de notre Histoire ; il sera dans l’esprit d’une tunisification de la notion de « Gauche politique » en rapport justement avec le réformisme qui modère sa conscience révolutionnaire et lui évite les débordements et les dérapages incontrôlés. Tout cela devra être enveloppé dans une diplomatie tunisienne dont les principes, les valeurs et les stratégies n’ont nul besoin de se laisser déformer, quelle que soit la force d’influence ou de pression qu’on voudrait exercer sur elle.
Puisse notre pays trouver donc, vite et sans grands heurts, cette nouvelle formation fédérative dont se reconnaîtrait la plus large masse citoyenne et dont les figures représentatives auraient la crédibilité du patriotisme, de la compétence et de la diplomatie ! Une telle formation est la plus habilitée à conduire une saine opposition, une opposition constructive permettant une interaction avec le pouvoir en place et avec les autres mouvements politiques ouverts à l’échange, pour remettre la Tunisie sur la voie de la démocratie sociale et politique, celle de la réussite économique et intellectuelle, celle du rayonnement international à même de lui ouvrir toutes les portes du progrès.
PS de la rédaction:
L’image d’illustration est empruntée à un article paru dans lecourrierdelatlas.com le 09-04-2021 sous l’intitulé “Point de vue: les cinq clivages politiques en Tunisie”.