Hier, pendant que je zappais à la recherche d’un programme intéressant pour meubler ma soirée, je constatai que les 3000 chaînes et quelques que je captais ne passaient que la météo et le journal télévisé, qui plus est selon une répartition horaire inédite : 30 minutes de prévisions météorologiques et moins de deux minutes pour l’actualité dans le monde. D’ailleurs, en fait d’événement politique, on ne parlait que du décès de la reine d’Angleterre. Quelques mots, commentaires et images, puis retour à la météo et ainsi de suite jusqu’aux premières heures du matin.
En fait, l’information du jour n’était pas la mort d’Elisabeth II. Dans les journaux télévisés du monde entier, l’exclusivité était accordée à l’événement le plus insolite de l’histoire de la planète et de l’Univers : les nuages faisaient la grève aux quatre coins du monde ! Tous les nuages sans exception. Dans le ciel, cela formait un rassemblement monstre de stratus, de cumulus et de cirrus qui produisait une clameur assourdissante. Des éclairs à répétition, des coups de tonnerre incessants, une voûte céleste incroyablement nébuleuse : le spectacle devenait de plus en plus terrifiant à mesure que les nuages s’amoncelaient.
Leur revendication principale était la diminution du sale air : la Terre dégage, selon eux, trop de gaz polluants qui altèrent la qualité et la quantité des précipitations.
“Nos pluies en sont noircies, dénonce Cirrostratus, porte-parole de la Fédération des Nuages Associés dans le Ciel (FNAC). Nos grêlons ont nettement minci; chaque année, la neige en plus de s’assombrir dangereusement, perd considérablement de sa teneur liquide. Si bien que nos flocons tombent du ciel plus secs désormais que les fleurs de coton sous les soleils d’été. Notre charge en pluies faiblit d’une saison à l’autre. Il n’y a pas jusqu’aux formes que nous prenons dans le ciel qui ne soient complètement modifiées : imaginez des nuages carrés, rectangulaires, trapézoïdaux, en losanges, en pentagones, hexagones et octogones ! C’est fou ce qui nous arrive à cause des excès humains ! Voilà pourquoi nous avons décrété cette grève qui risque d’être illimitée si nos demandes ne sont pas satisfaites !”
Les nuages disparaîtraient donc complètement de tous les cieux, sinon ils seraient visibles mais sans nul effet météorologique. Des nuages pour le spectacle quoi ! Pour les poètes et les artistes ! Pour se prendre en photo avec un stratocumulus hélicoïdal par exemple, ou avec un cumulonimbus ovale, ou avec un cirrus cylindrique le matin, triangulaire à midi et conique le soir !
Pas possible ! Je sautai de mon canapé et courus voir le ciel dehors : ça grondait effectivement, comme l’annonçait la télévision ! Tous mes voisins étaient sortis dans la rue et commentaient diversement la grogne du ciel. L’un d’entre eux qui avait les yeux rivés à son téléphone portable vint me rassurer :
– Si Badreddine, il ne faut pas s’alarmer. Les négociations vont bon train avec les nuages. On est parvenu à un accord provisoire selon lequel le sale air sera réduit de 20% en 2022, de 21 % en 2023 et de 25% en 2024 !
– Quelle étrange histoire, lui répondis-je ! Ici bas, nous réclamons l’augmentation du salaire et là-haut, ils veulent la baisse du sale air ! Ce n’est pas sérieux votre grève des nuages ! De la foutaise ! De la mauvaise science-fiction, rien de plus !
A peine cette dernière exclamation achevée, je reçus un énorme grêlon sur la tête, puis un deuxième et un troisième encore plus gros que le premier. Je rentrai précipitamment chez moi : trois belles bosses commençaient à poindre sur mon crâne dégarni. Et sur l’écran de mon téléviseur, défilaient déjà des images de l’incident !
BADREDDINE BEN HENDA