Il paraît de plus en plus évident que se généralise, chez nous, le mal qu’on croyait spécifique au secteur politique où l’égotisme commande presque toutes les interactions et toutes les considérations. En effet, cela fait un bout de temps qu’on le sent envahir les secteurs sur lesquels on comptait – et on compte encore – pour immuniser notre socialité des partis pris, de l’envie, de la jalousie, du narcissisme, du clanisme et de tant d’autres défauts. Il s’agit évidemment des secteurs de l’éducation, du savoir, de la pensée, de la culture et de la communication.
Le dernier exemple en date est sans doute celui des Journées Cinématographiques de Carthage, ou plus précisément leur 33ème édition de 2022 dont la clôture a suscité des commentaires variés allant de l’approbation enthousiaste au dénigrement le plus virulent, en passant par la critique objective, la seule digne de foi. Celle-ci a mis le doigt sur des insuffisances auxquelles nulle édition et nulle équipe de direction n’avaient échappé auparavant et qu’il conviendrait de rattacher à des facteurs dont il importe de discuter franchement et objectivement, dans des séances d’évaluation constructives et sereines, avec une participation aussi large que possible des gens de la cinématographie, toutes spécialités confondues, mais aussi des gens de la culture en général, voire d’autres secteurs intéressés et pouvant s’impliquer. Mais pour l’essentiel, quoi qu’on en dise, la 33ème édition des JCC n’a pas démérité, surtout en termes de programmation, et une évaluation objective le montrerait. Reste cet éternel refrain du tapis rouge, pourquoi en rougir, il ne fait que nous renvoyer notre image, notre façon d’être et de nous voir : les uns s’y complaisent, les autres s’en détournent ; mais le cinéma est pour tout le monde, chacun cherchant à y faire son cinéma. Quant à l’âme et l’esprit que Tahar Chériaâ, pertinemment évoqués pour la circonstance, a mis à la base de cet événement culturel exceptionnel, surtout par sa portée civilisationnelle, il faudra bien en reparler sérieusement et profondément, en tournant le dos à ceux qui cherchent à s’approprier les JCC, par un égotisme morbide, et à ceux qui après un demi-siècle s’érigent en nouveaux historiens de la cinématographie tunisienne, sans égard au bon sens et à l’honnêteté intellectuelle.
Mais au-delà des JCC, le mal est à soigner dans plusieurs autres secteurs, surtout dans l’enseignement et les médias. Une nouvelle éthique du vivre-ensemble, soutenue par une solide et dynamique culture appropriée, devrait présider à l’ancrage d’un état d’esprit altruiste, bâti sur le sens du partage et de la reconnaissance du droit à chacun à la présence, à la participation, à l’action et à la communication. Nous sommes trop aliénés par le cercle fermé de petites assiettes privées. A quelque niveau du moindre pouvoir, on se rabat sur la logique d’un groupe fermé, tournant le dos aux compétences considérées comme une menace d’ombre et au dynamisme altruiste considéré comme le concurrent intraitable de la logique des intérêts privés.
Ouvrons-nous les uns aux autres sans trop de calcul ni un surplus de frontières. Ainsi seulement peut-être l’avenir nous sourira ! Si ce n’est pour nous, dans l’immédiat, ce sera pour nos enfants et les enfants de nos enfants.