Intéressante à plus d’un titre est la rencontre organisée, le 25 janvier 2023 à Tunis, par le Centre d’Etudes et de Recherches Economiques et Sociales sous l’intitulé « Réformes pour une économie durable et équitable : contribution de la jeunesse sociale-démocrate », en partenariat avec la Friedrich-Ebert-Stiftung Tunisie (FES), la plus ancienne fondation politique allemande, non gouvernementale (ONG).
En fait, la rencontre a pour objectif de discuter, avec le public du CERES et sa crédibilité, le volume élaboré par la Génération Sociale-Démocrate, dans le cadre de son programme Génération A’venir, un livre issu d’une longue recherche de ces jeunes en interaction avec des spécialistes de renommée, pour penser ensemble des réformes à proposer, à la croisée certes mais surtout à distance aussi de ce qui est communément dit et redit dans les discours politiques courants.
D’emblée on est frappé par le niveau des jeunes ayant meublé les quatre panels qui se sont succédé après les deux allocutions de la séance d’ouverture, celle de M. Youssef Ben Othmane, DG du CERES, et celle de Mme Molka Draoui, Coordinatrice du programme Génération A’venir de la FES. Quatre axes ont donc été développés et discutés : Economie et rente ; Economie parallèle ; Climat des affaires ; Entreprises publiques. Tous brillants et source de fierté, mais une mention spéciale est due à la performance du modérateur Wassim Hmedi, membre du projet.
Il n’est pas question, dans une chronique, de rendre compte du livre en question (un livre à lire en arabe et en français), ni de proposer un reportage de la rencontre. Tout au plus pourrions-nous soulever certains problèmes, pratiquement tous évoqués d’une façon ou d’une autre par le public lors des débats, problèmes liés à une approche de l’économie tunisienne, actuelle mais articulée à l’Histoire, et de chercher à comprendre son interaction avec la politique en général et avec les gouvernements successifs.
Il conviendrait peut-être de signaler, d’emblée, que le concept de la « social-démocratie », après près de cent-cinquante ans d’histoire, semble avoir rompu avec la logique révolutionnaire et trouver son confort avec le principe du réformisme et l’esprit d’un centrisme de gauche. Cela est dit sans entrer dans le labyrinthe indémêlable de la définition du concept de démocratie qui lui est lié, parce que la social-démocratie est forcément une certaine façon de voir, ou même de concevoir, la démocratie.
C’est sans doute de ce point de vue que l’équipe de Génération A’venir a senti le besoin, méthodologique, de remonter l’histoire de l’économie de rente, jusqu’à l’époque des hafsides et des ottomans, pour montrer que cette économie s’est toujours imposée et s’est instaurée, même après l’indépendance dont les débuts sont marqués par une évidente socialisation de la politique, et même après le projet de Hédi Nouira qui a cherché à pérenniser une interaction nécessaire entre le social et l’économie de rente. Puis, après la période Ben Ali où le lobbying d’alliance familiale entre le pouvoir et l’argent a fini par consacrer l’économie de rente, l’espoir survenu avec la « révolution » de 2011 est vite déçu et la Tunisie n’est pas sortie de l’auberge jusqu’à ce jour où il y a lieu de craindre le pire.
Donc, c’est dans la conscience du caractère endémique de ce mal qu’est née l’initiative de Génération A’venir qui a abouti à des propositions qu’il serait long de discuter ici. Le problème est, cependant, que dans l’équipe le projet est présenté par un expert comme une idée à suggérer aux décideurs, alors que d’autres jeunes y verraient le noyau fondateur d’une dynamique militante qui pourrait se concrétiser par un mouvement politique. De fait, en dehors de cette option, il y a lieu de se demander à qui seraient destinées ces propositions dans une Tunisie complètement livrée au démantèlement et à la dispersion de l’action politique, ainsi qu’à des conflits indépassables entre le gouvernement et les partis d’opposition. C’est dire que ces propositions resteraient de l’ordre de la littérature de pensée, sans impact sur la société ? Ce serait dommage !
Remarque importante : sauf inattention de notre part, dans tout le public, il y avait une seule figure politique (de l’opposition née de la chute des anciens gouvernants de ladite « Décennie noire ») à la présence et à la participation remarquées.
Pour finir ce bref propos, force est de reconnaître au CERES son mérite d’encourager, de cultiver et de promouvoir cette intelligence des conversations qui engagent le destin de notre société, voire de la socialité universelle. Force est aussi de souligner son mérite dans la mise en valeur du rôle de la jeunesse, mais dans un esprit de complémentarité solidaire avec les autres générations pour mieux souder l’esprit de société et d’intérêt commun.