Une rencontre à l’ENIM (Université de Monastir) a été initiée par la Délégation régionale des Affaires Culturelles de Monastir, mercredi 28 février 2024, autour du thème « La Culture au carrefour du numérique ». Les communications présentées étaient riches en idées et en interrogations et ce n’est pas le propos convenable, ici, pour en développer les détails. L’objet de cette chronique consiste juste en une modeste réflexion personnelle inspirée de cette journée d’étude et d’autres contextes conversationnels.
Il importe de souligner que l’intelligence artificielle (IA) est aujourd’hui un des sujets les plus discutés, avec un esprit de polémique attesté rangeant les uns du côté des adversaires inconditionnels de cet avatar de la modernité et les autres en partisans inconditionnels et zélés de ce grand saut en avant dont on ne perçoit peut-être pas encore toutes les retombées. Mais il n’est pas moins important de préciser qu’il en a été toujours ainsi, à chaque nouveauté qui vient déranger le calme plat de l’habitude et de l’uniforme train-train du quotidien. Cependant, pour l’IA, ce qui semble animer la suspicion et la méfiance, c’est ce qu’on appelle « l’intelligence artificielle générative (IA générative) » dont Pr. ém. Fathi Triki a rediffusé la définition à l’occasion d’une rencontre organisée par lui à ce propos : « IA générative est une catégorie d’IA qui se concentre sur la création de données, de contenu ou de choses artistiques, de façon indépendante. Elle diffère de l’IA classique, qui se concentre, quant à elle, sur des tâches spécifiques telles que la classification, la prédiction ou la résolution de problèmes. L’IA générative vise à produire de nouvelles données qui ressemblent à celles créées par des êtres humains, que ce soit sous forme de texte, d’images ou encore de musique par exemple. » Parallèlement, le directeur du Collège de Tunis pour la philosophie n’a pas manqué de partager l’opinion de Noam Chomsky, publiée par le New York Times le 8 mars 2023, en l’occurrence : « Arrêtons de l’appeler “intelligence artificielle” alors et appelons-la pour ce qu’elle est et fait “logiciel de plagiat” parce que “ça ne crée rien, mais copie les œuvres existantes, d’artistes existants, les modifie suffisamment pour échapper aux lois sur le droit d’auteur”. C’est le plus grand vol de propriété intellectuelle jamais enregistré depuis l’arrivée des colons européens sur les terres amérindiennes. »
Tout cela sonne donc comme un signal d’alarme alertant le risque majeur de voir l’intelligence artificielle tuer l’intelligence humaine et se substituer à elle. Il est donc justifiable et louable même que des intellectuels, surtout des philosophes et des enseignants de philosophie, se mobilisent pour défendre le capital fondamental de l’humanité de l’homme, son esprit. N’empêche qu’un autre esprit, aussi critique, s’empresserait de noter que l’IA est un produit de l’intelligence humaine et qu’elle est même la preuve de son génie ; ce qui n’est pas faux non plus. C’est entre les deux que se poserait la vraie question : « Que faire pour ne pas se priver des avantages de l’IA et en même temps pour éviter ses effets pervers ? » Autrement dit comment faire valoir l’urgence d’une intelligence pratique à généraliser en société pour résoudre, autant que faire se pourrait, cette équation « intranquille » ? Faut-il commencer par revoir l’évolution née de la découverte de l’énergie atomique par Einstein et aboutissant à la bombe atomique et son impact catastrophique ? Il va de soi que c’est encore l’éducation, l’école au sens large, qui devra assumer cette charge de conscientisation, partout et à tous les niveaux, car dans son sens étendu, l’école couvre tous les secteurs de la vie et tous les modèles de société. L’objectif premier serait alors de faire la part de chaque usage de l’IA et de veiller à ce que cette distribution ne déborde ni ses cadres limités ni l’éthique vitale du vivre-ensemble et de la démocratie de l’intelligence.
L’essentiel serait peut-être de ne pas oublier que l’intelligence artificielle n’est, au fond, qu’un artifice de l’intelligence humaine.
(Publié aussi par jawharafm.net)