De nombreux commentaires se sont fixés ces derniers temps sur les limogeages successifs par le Président de la République de membres de son gouvernement. C’est sans doute dans l’ordre des choses pour les médias, chacun selon sa ligne éditoriale, avec tout de même une remarque de circonstance pouvant signifier à certains qu’il n’est pas de coutume de demander à un chef d’État de justifier le limogeage d’un de ses collaborateurs. C’est tout ce qu’il y a de plus naturel dans un régime présidentiel (présidentialiste, nous diraient-on ? À la bonne heure !). Il en est ainsi, dans un tel régime, aussi bien pour la nomination que pour la destitution ; à moins que le limogeage ne donne suite à des poursuites judicières, et là, la justification s’impose, juridiquement.
On a donc relevé de nombreux limogeages qui valent en fait comme des actes d’insatisfaction du responsable en tête quant au rendement du responsable en dépendant. Il s’agit donc d’un acte d’évaluation propre à une politique centralisée entre les mains du Président. Celui-ci, une fois assuré de son pouvoir, se sent et se considère comme doté d’une mission salvatrice en réaction à ce qu’il perçoit comme un manquement grave à la responsabilité patriotique et au devoir de citoyenneté, et comme une menace à l’équilibre et au bien-être de sa société. On peut alors adhérer à un tel régime, par conviction, par opportunisme ou par obligation, ou s’y opposer, par conviction, par opportunisme ou par obligation ; c’est de l’ordre d’une certaine démocratie active. On peut aussi tout simplement se contenter d’une observation passive dans laquelle la majorité trouve souvent son accomodation au fonctionnement des choses.
N’allons pas très loin dans l’analyse détaillée de ces données, ni le lieu ni le contexte ne s’y prêtent. Pour ma part, j’aimerais bien évoquer quelques remarques concernant la question de la politique culturelle, puisque la culture m’interpelle et m’occupe tout le temps. C’est ainsi qu’en recevant les informations concernant la visite inopinée du Président de la République Kais Saied, mardi 20 février 2024, « à un certain nombre d’institutions culturelles et de bibliothèques à la médina de Tunis », et en prenant connaissance de ses déclarations à l’occasion, je me suis souvenu que plusieurs voix, dont la mienne, avaient souvent souligné la nécessité de mettre ce secteur au premier plan de nos préoccupations et d’en faire un vrai pivot autour duquel tournent tous les autres. Ainsi, quand le président Kaïs Saïed a souligné « qu’il n’y a pas d’avenir pour un peuple sans une culture nationale et que la culture, l’un des secteurs de souveraineté, doit trouver la place qui lui sied notamment au niveau des fonds qui doivent lui être octroyés », je ne pouvais que saluer cette déclaration et formuler le vœu que tout soit fait pour qu’il en soit ainsi. Peut-être, moi et mes semblables, ajouterions-nous : « Pourvu qu’il ne soit pas trop tard ! Dans tous les cas, mieux vaut tard que jamais ».
Ce n’est donc pas contre un ministre ou pour un autre qu’il faut voir les nominations et les limogeages, mais pour une vision des choses et ses objectifs, et contre un manque d’efficacité à faire ce qu’il faut. Que l’intérim de la gouvernance culturelle soit assuré par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, c’est heureux aussi parce que ce secteur, comme celui de l’éducation, est inséparable du secteur de la culture : les trois sont des vases communicants versant dans une seule réserve, celle du dévéloppement intégral et du bien-être collectif. D’ailleurs, au lieu de plaider pour un conseil supérieur pour chacun de ces trois secteurs, sans doute est-ce plus utile et plus efficace d’en faire un seul pour les trois secteurs afin de ne jamais perdre de vue les liens inalinables entre eux et la complémentarité convergente qu’on en attend. Cela ne plaira pas à ceux qui appellent à une scission entre les intellectuels, les académiciens et les acteurs culturels, mais cela nous paraît ouvrir la voie idoine à un juste et bénéfique profit à tirer par la société, de l’interaction intelligence entre la culture, les sciences et la conscience de citoyenneté.
Parallèlement, un grand labeur reste à accomplir pour assurer une continuité certaine et productive entre les différentes étapes de la gouvernance, indépendamment des personnes qui se succèdent aux niveaux variés des responsabilités. Une certaine rigueur est certes attendue, pourvu qu’elle soit juste et non annihilante en ne s’exerçant que sur les plus fragiles et généralement les plus sincères (je pense surtout aux associations culturelles et académiques étrangères à tout calcul sournois), pour cacher la souplesse complice accordée à des acteurs et des actants musclés, exempts de toute imputabilité.
Oui donc, notre pays a besoin d’une vraie secousse pour reprendre le chemin du développement et du progrès. Mais pour ce faire, c’est notre conscience qui est mise à l’épreuve, dans le besoin d’une socialité laborieuse et solidaire. A chacun de se demander, en son âme et conscience, jusqu’à quel point il peut aller dans cet engagement, car l’avenir collectif en dépendra.
(Publié aussi sur jawharafm.net)