Par Mansour M’henni
« Allégresse de la proximité », tel est le titre choisi par son Excellence l’Ambassadeur du Maroc en Tunisie pour un livre issu de son initiative et coordonné par lui-même. L’idée est on ne peut plus louable et sa réalisation bien réussie. Il s’agissait de réunir des universitaires et des personnalités de la culture et de la communication du Maroc et de la Tunisie pour des témoignages réciproques, les intellectuels de chaque pays exprimant ce qui a pu les marquer dans l’autre. Aucune autre consigne éditoriale n’a été posée, chacun exprimant ce qu’il garde dans son affect et dans son intellect du pays frère.
De là sans doute le terme de proximité dans le titre, celle-ci étant, comme l’écrit Gaël Le Boulch, « un jugement de valeur qui porte sur une perception de la distance […]. La proximité n’existe donc pas par elle-même mais seulement par le sujet qui la crée par sa déclaration ». Cela situe pleinement la proximité au niveau de la culture qui la fait naître comme une conscience et qui la fait être comme une expression. C’est cet arrière-fond philosophique qui nous semble avoir présidé au projet du livre et à son titre, Allégresse de la proximité.
Tout aussi heureux est le choix de l’autre mot du titre, « allégresse » ! J’avoue avoir longtemps hésité, à la traduction du mot arabe « Ghibtah », entre plusieurs synonymes. Puis, fixé sur trois mots, j’ai préféré « allégresse » à « jubilation » et à « félicité », pour ce que le premier m’apporte justement en termes d’expression du bien-être, dans le partage heureux de la proximité.
La prime importance de ce livre est qu’il me semble porteur d’un projet de proximité conceptuelle et pratique entre la diplomatie et la culture. Longtemps celle-ci a été revendiquée comme un pilier central des échanges et du partage entre les peuples pour un meilleur vivre-ensemble qui amènerait avec lui la prospérité non jalousée et la coopération solidaire. Mais les conduites politiques et les urgences de la gouvernance ont souvent considéré la culture comme un motif complémentaire et un apparat de circonstance, un peu comme une rhétorique de la gestion. Or l’esprit de l’Allégresse de la proximité informerait d’une réorientation possible de la diplomatie vers la culture, et par-delà, une pensée renouvelée du politique dans son ensemble à l’aulne du culturel.
Tous les intellectuels ayant participé à ce livre ont en fait lancé un hymne à l’affectivité par la culture et à la nécessité de la mettre en symbiose avec la conduite intelligente des partages. A y voir de plus près, on se rendrait compte que des concepts partout scandés comme des slogans y trouveraient leur essence et les arguments de leur pertinence. Telles sont la solidarité, la gouvernance, la paix, et pour tout dire l’humanité. Et pourquoi « l’aimance », cette idée chère à Abdelkébir Khatibi. En effet, un discours politique peut séduire, mais au contact de la réalité souvent décevante, le réveil se fait à effet contraire de l’objectif recherché par ce discours. Quant au discours culturel, par quelque voie qu’il passe, il fusionne avec l’être profond de l’individu pour créer une symbiose des sens et de l’intelligence et une nouvelle façon de se voir par rapport à l’autre, avec l’autre, dans la consonance plus que dans la dissonance.
Là aussi, se concrétiserait la configuration la plus plausible d’un regroupement régional comme le Maghreb ou le Grand Maghreb, car de fait, celui-ci sera d’abord culturel ou ne sera jamais.