« L’Histoire est un perpétuel recommencement », a dit Thucydide d’Athènes, une citation qui a eu plusieurs répondants dans la pensée de temps divers et de lieux variés. On penserait surtout à Ibn Khaldoun, à Karl Marx, à Karl Popper, etc. Et à petite échelle, on peut l’avoir à l’esprit dans une circonstance on ne peut plus répétitive telle que celle que le monde vient de vivre, celle de la transition d’une année à une autre.
En fait chacun actualiserait la citation soit par peur de la voir se vérifier et lui faire endurer ainsi les douleurs et les déceptions de la précédente année, soit avec d’espoir de la voir se confirmer et donc valoir pour lui un bonheur ou un succès dont il ne voudrait plus se passer. Cela serait de l’ordre de la superstition car, en définitive, c’est l’homme qui fait l’Histoire et c’est à lui d’en faire une forme de rupture ou une continuité évolutive. Il y a certes des effets déterminants du contexte où on vit, c’est ce qui fait dire qu’on est toujours un fait d’Histoire ; mais il y a surtout une volonté humaine qui construit l’histoire effective, à partir de ces effets de base qu’elle peut reconduire ou transformer.
C’est au niveau du fonctionnement d’une société des êtres qu’il importe surtout de penser le cycle temporel, souvent confondu avec l’Histoire, en termes de recommencement et de progrès. De ce point de vue, force est de souligner qu’il n’y a jamais de retour du même, le même est une illusion, une simple construction de l’imaginaire, par assimilation, comparaison, association, etc. S’il en est, il ne peut y avoir que le retour du semblable : des circonstances comparables, des événements semblables, des êtres ressemblants, etc. Ainsi est l’effet du temps qui est sans retour parce qu’il évolue sur un axe unidirectionnel irréversible. Cette marche évolutive de la vie dans le sens du temps s’appelle le progrès.
Or les idéologies des humains ont souvent tendance à se répartir en deux principales tendances : l’une cherche à sacraliser le passé et à vouloir encastrer le présent et l’avenir dans l’image qu’elles ont ou qu’elles construisent du passé pour les exploiter dans leur quête et leur conquête du pouvoir. L’autre ne se détourne pas totalement du passé qu’elle considère comme un acquis sans en faire une matière d’avenir comme la précédente ; elle en fait plutôt une mémoire d’avenir, un adjuvant de l’action future qui le transforme et l’enrichit en fonction de ce qui se doit en temps et lieux appropriés. C’est ce qu’on appelle le réformisme et que résume le dicton « regarder le passé pour éclairer l’avenir ».
Le propre du réformisme, c’est qu’il présente une démarche plus rationnelle que l’idée de révolution, avec sa tendance à tout détruire du passé pour se considérer comme le coup d’envoi originel d’une Histoire partie de zéro. D’apparence, aucune révolution n’y est parvenue ; il y a toujours eu un compromis, parfois forcé, pour que la vie continue dans sa logique de la mémoire d’avenir.
A nous de repenser notre mémoire d’avenir pour envisager le futur comme une quête du nouveau sans effacer de notre mémoire les acquis du passé, heureux ou malheureux, mais toujours utiles pour nous informer de la façon constructive d’envisager nos espoirs et nos ambitions.
(Publié aussi sur jawharafm.net)